2 décembre 2007
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Un jour l’enfant grandira et demandera à sa maman : « Où est mon père ? Ne reviendra-t-il jamais ? ». Elle ne saura que se taire ou répondre par un mensonge. Mais le résonnement de la question persistera jusqu’à ce qu’il remue le souvenir de la nuit où le germe fut semé en elle par la force. Elle ne saura repousser la haine que rien n’apaise, qu’éprouve une mère envers le père qui abandonne sa progéniture. La haine ne s’éteint ordinairement qu’au moment du châtiment des tyrans. Rachida n’est qu’une femme sans force ni puissance, et du fait de ne rien pouvoir, naîtra en elle une sourde souffrance qui ne s’atténue que momentanément. Saber sera accusé de ce mal.
Un jour l’enfant sera injustement humilié, giflé par des dures et méchantes mains d’adultes, déshumanisés pas l’insouciance et l’inconscience ; mais ne peut pas se défendre. Sa mère ne saura que verser des larmes inutiles dont il n’aura pas besoin. Il aura besoin d’une voix masculine, grave, qui d’un seul cri de colère, créera un champ de respect autour de l’enfant. Saber sera accusé d’avoir manqué à ce devoir.
Le vide que laisse le père en abandonnant ses petits enfants s’ouvre dans leurs cœurs blessure béante et inguérissable. Les enfants, une fois grandi, tentent d’y remédier, d’emplir ce creux qui hurlent sourdement sa vacuité. Ils essaient d’y parvenir même en agissant de la manière où s’ignore la frontière qui sépare le pur de l’immonde. Le bien du mal. Saber sera responsable de ces agissements.
Un jour, l’enfant sera malmené par la vie, et nul ne devine qu’au même moment le père ne serait pas en train de s’amuser, de rire en éclats. Dieu voit tout en même temps. Il verra alors ici le triste enfant que tout dévore, et là, l’heureux père sautant de joie. Si tel père prie le Tout-Puissant nuit et jour, lui pardonnera-t-il ? Dieu est juste.
Le cri d’un marchand ambulant arrache Saber à sa pensée. Les deux cartons prennent forme comme s’ils sortaient du néant. Les murs de la pièce se montrent, se durcissent pour bien enfermer leur singulier prisonnier. Ce qu’il appelle « table de nuit » se distingue, s’impose, lui fait remarquer que son tiroir inférieur est fermé. Il l’ouvre, en tire son livre préféré qu’il avait oublié dedans. Une page au hasard. Il ne sait comment parvient-il à lire…
Badra a perdu ses deux garçons. Deux garçons dont elle n’est pas véritablement mère. Sa conscience ou sa raison l’avait privée du premier qui d’ailleurs ne pouvait être considéré comme enfant. Se faire passer pour la mère d’un jeune homme qui a son âge, est insensé. Elle le sait bien. Cependant, ne fallait-il pas un mensonge pour cacher la vérité ? Comment aurait-elle pu, l’autre fois, dissimuler son amour pour Saber et éviter sa proposition si elle ne lui avait pas menti ? Si elle ne lui avait pas sorti cette histoire de tendresse maternelle ? Il n’a pas admis d’être son enfant chéri. Elle l’a ainsi perdu.
Le second garçon ne dort plus dans le lit de la maitresse de maison. Il a rejoint sa vraie mère, Rachida. La patronne en avait décidé ainsi. Car elle ne pouvait plus retourner l’enfant quand il ronflait, ni le couvrir et veiller sur lui la nuit. La maladie a paralysé Badra. Elle en a beaucoup souffert. Elle continue d’en souffrir. Ne s’est pas encore insinué dans son esprit l’idée que la maladie se présente comme une tranche…une étape caillouteuse qui se situe ça et là, au début, au milieu ou à la fin du chemin qui mène l’individu à son point d’extinction. Cette étape se mesure par le temps durant lequel le malade demeure dans l’incapacité de jouir moyennement de ses facultés naturelles ; et se mesure aussi par l’intensité de la douleur. Badra ne sait plus où se situer. Elle craint que cela dure mais garde encore espoir. Elle préfère croire que ce n’est qu’un point noir dans son parcours, que le temps effacera.
A suivre…