Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
6 novembre 2006 1 06 /11 /novembre /2006 00:03

   Quatre ans sont passés après son départ. Elle continue à venir la nuit quand je m’endors. Je lui avais demandé cela quelques jours avant notre « séparation ». Au début, elle venait toutes les semaines, puis tous les mois ; ses visites commençaient à s’espacer à mesure que le souvenir sombrait peu à peu dans l’oubli.

 

  Ce qui se passait pendant nos rencontres irréelles ne dépassait guère les limites du respect que je lui témoignais. Même mon inconscient qui secrétait des rêves pour apaiser mon désir de la voir dans la réalité…même mon inconscient se censurait, se muselait, tant mon sentiment était si pur, si innocent, si…gosse. Mon inconscient me tissait des paysages  si paradisiaques, des scènes si romantiques que ma bestialité s’y trouvait étouffée.

 

   Dans la nuit du douze au treize décembre…Naima est venue déplier à mon insu ma mémoire. Elle en a retiré des images, choisies à sa façon, et créé  une scène nullement comparable à celles que j’avais vécues : J’étais  comme sur une montagne pierreuse semblable à celles où, une dizaine d’années auparavant, le destin m’avait contraint d’y vivre, contre mon gré, quelque temps ; et où il me sembla maintes fois que j’étais sur une terre de rêves, tant cet endroit était désert et y régnait un silence exagéré.

 

   C’est ce lieu qu’elle a choisi comme pour fuir les yeux des anges qui veillent sur nous quand nous dormons. Elle est venue accompagnée d’une personne que je ne connais pas, que je ne cherchais pas à connaître. Mon esprit était entièrement absorbé par la beauté que les rêves donnaient à l’aimée. Je lui demandai comment s’appelait son enfant, avec l’espoir inavoué de l’entendre répondre en prononçant mon prénom. Elle me répondit : «  C’est une question à ne pas poser, tu devais tout savoir de moi.». J’en conclus qu’elle me reprochait de n’avoir jamais cherché ce qu’elle était devenue.

 

  Mon inconscient jugea utile d’éloigner la personne qui accompagnait Naima, et nous faire oublier l’enfant fruit d’un mariage postérieur à l’époque où planait dans notre ciel cet amour platonique; nous nous retrouvions donc seuls. Elle marchait près de moi, et tout d’un coup elle trébucha, je tentai de l’empêcher de tomber et…elle se retrouva dans mes bras ; je ne pus alors me priver de la serrer fortement contre moi, tendrement, et l’embrasser innocemment sur la joue. Elle se fâcha, se mit à sangloter, une façon de me dire que j’avais trahi sa confiance.

  Je me trouvai incapable de m’excuser et encore moins de lui exprimer combien je l’adorais. Mon impuissance jaillit de moi en larmes qui allèrent se joindre aux siennes, s’y mêler, couler en ruisselets comme pour graver, sur les pierres insensibles de la paisible montagne, les douleurs de l’impossible.

                                                         

Partager cet article
Repost0
4 novembre 2006 6 04 /11 /novembre /2006 00:03

Chère amie !

 

 

 

      Je m’excuse, chère amie, d’avoir un peu retardé ma réponse à ta lettre. Je t’avoue que je ne pouvais pas t’écrire ; beaucoup de choses se précipitaient au bout de ma plume…Beaucoup de choses voulaient s’exprimer, et tu aurais reçu un méli-mélo de pensées et de sentiments dictés par une subjectivité qui avait envahi un moment ma personne. Il avait fallu que je me taise. Et je me suis tu. J’ai donné le temps à cette mer houleuse qui se déchaînait en moi de se calmer. Elle se calma. La lune qui montait tous les jours et l’agitait s’était absentée. Et combien j’avais souhaité avoir un bras infiniment long qui irait au de là de l’horizon pour soustraire l’astre à ce qui l’emprisonne…L’obscurité que fit naître cette absence se resserrait sur moi jusqu’à me faire pénétrer en moi-même. L’extérieur devint invisible. Et même si je pouvais le voir je n’aurai pas risqué un coup d’œil ; je savais qu’allaient me heurter le vide et la fadeur. Mais voyons, Henia, c’est ce genre de choses que je ne voulais pas t’écrire et voilà que je me surprends en train te les dire. Passons donc !

 

 

 

    La décision que tu as prise est sage quoiqu'un peu brusque. Nous aurions dû discuter ensemble sur ce sujet et décider de cela dans le calme. Ça ne fait rien ! Je reconnais que tu as plus que moi le courage de faire des choix. Tu avais raison, nous ne pouvions pas continuer longtemps au rythme où nous allions. L’épuisement venait…Ce rythme nous a été imposé par nos vouloirs de nous connaître plus, de nous rapprocher, chacun de nous voyait poindre à l'horizon de son désert  un oasis. Et chacun de nous souffrait parce qu’il était certain que c’était un mirage. Nous avions en nous cette crainte que nous tentions d’ignorer et qui revenait à chaque silence nous rappeler l’inexistence de l’issue d’un chemin qui ne mène nulle part. Je crois que ce « vent de folie » qui a fait que nous nous agrippons l’un à l’autre de crainte d’être emportés n’est en réalité que l’expression naturelle de l’humanité en nous. Je ne vois guère en cela un moment de faiblesse ni n’y éprouve quelque bassesse, car ce n’est pas le désir qui nous attirait l’un vers l’autre. C’est ce monde que nous laissions derrière nous qui ne nous comprenait pas, nous pourchassait, et nous courrions l’un vers l’autre, nous nous réfugions l’un dans l’autre.

 

 

 

      Le geste qui nous a unis un moment n’est que noblesse, cesse de t’abandonner aux regrets et aux remords. Personne sur terre n’aurait pu nous offrir ce que nous nous sommes offert.

 

 

 

    Tu as décidé, Henia, de nous plus aller sur le « chat ». Tu as tort, chère amie ! Pourquoi te prives-tu de tes amis à cause de moi ? Est-ce raisonnable ? Retrouve alors ton activité dans le « room ». Amuse-toi ! Je ne serai jamais là ! Ou si par besoin je désire assister aux discussions je le ferai sous un autre pseudonyme. Vas-y donc, retrouve tes amis ! Je crois cependant qu’il n’est pas conseillé de se connecter longtemps, cela deviendra une passion qui échappe à la volonté.

 

 

 

   Ne t’inquiète pas pour moi, Henia ! Je saurai être ton ami, et comme tu l’as souhaité, je limiterai ma relation avec toi aux é-mails, ils s’espaceront peut être avec le temps mais nous resterons en contact, nous nous écrirons sur divers sujets. Tu me donneras ton avis sur mon manuscrit quand il te parviendra.

 

 

 

   Ne t’inquiète pas pour moi, Henia ! Je saurai dépasser cette période qui, je l’avoue, n’est guère facile pour moi. Mais tu me connais un peu, je ferai de cette souffrance une douceur dont je m’enivrerai et de ce fait je pourrai atténuer ma douleur. Tu es une personne très admirable pour moi, durant ce mois de rencontre qui en  équivaut en réalité à plusieurs je suis comme habité par toi et tu y demeures encore. Tu resteras en moi, avec cependant ce handicap de ne pouvoir le dire à personne. Je te porterai en silence. Les gens ne sauront pas le secret de cet air qu’a pris mon regard, ni ne te voient lorsque tu te dessines sur mes lèvres quand j’esquisse un sourire.

 

 

 

    Je saurai dépasser cette épreuve mais me manquera la tendre Hénia qui me chatouilla de son haleine; me manquera la Hénia droite et catégorique qui maintes fois me fît trembler, me manquera surtout la gamine qui me tendait la main pour lui faire traverser la route, et qui combien de fois me fît pleurer, comment supporter que l’enfant retourne à son hibernation et genoux au menton, telle un fœtus  qui mettra peut être beaucoup de temps pour naître… Renaître.

 

 

 

    Sache, Henia, tu es toujours la même pour moi, je respecte ta volonté, qui est la mienne d’ailleurs, de rester amis et pas « autre chose » ; quoique le vin ne peut jamais redevenir raisin. Je t’admire, je ne crois pas que je rencontrerai une personne comme toi. Et je te remercie pour le respect et l’amitié dont tu n’as cessé de me témoigner. Je m’excuse enfin de t’avoir écrit cette lettre avec mon cœur…je l’ai fait parce que j’ai remarqué qu’il résonnait et qu’il allait savoir raisonner. J’ai confiance en lui. Et en toi, Henia.

 

 

 

    J’ai reçu ta deuxième lettre, j’ai eu subitement honte de n’avoir répondu à temps à la première. Et je me suis rendu compte combien tu me supportes.

 

 

 

  Prochainement, j’irai au Douar passer quelques jours. Je vais assister à une fête, je serai entouré des gens de ma famille ça me réconfortera certes mais pas au point de me tirer de toute ma solitude. Je me promènerai dans le jardin des orangers et j’évoquerai, un sourire sur la bouche, cette histoire de l’explorateur des trésors de la Sibérie. Pris de froid la nuit, il avait allumé au pied d’un mont un petit feu pour se réchauffer ; gagné par le sommeil il s’endormit oubliant de l’éteindre. Le feu fut ravivé par le vent de minuit qui soufflait et provoqua une avalanche de glace qui ensevelit l’infortuné explorateur. Il est en train de se débattre pour sauver sa pauvre âme. Je t’écrirai quand je retournerai de là-bas, avec plus de raison, comme tu as su le faire. Je te parlerai du manuscrit que je t’ai envoyé et qui mettra peut être plus de temps que tu ne le crois avant de te parvenir. Il y a trop de lenteur chez nous qui nous fait que nous enfoncer…et trop de chaleur en ce trois juillet…

 

 

 

Enfin, Je te félicite pour tes succès dans le travail et te souhaite tout le bien du monde.

 

 

 

                                                                                       Amicalement.   

Partager cet article
Repost0
3 novembre 2006 5 03 /11 /novembre /2006 00:03

                                                                                                                                                                                    

Je l’ai entendue m’appeler, j’aime beaucoup la contempler, la pluie. Le ciel est couvert, il pleut à torrents, les gens se sauvent, cherchent un abri. Les grosses gouttes  brillent comme des perles quand elles traversent le champ mobile de la lumière que créent les phares des voitures qui passent au ralenti, mais c’est sous les réverbères que la pluie semble dire un conte. Un nuage géant plus sombre que les autres attire mon regard, j’essaie de lui donner une forme intelligible. Mon imagination le métamorphose à mesure que je le fixe en une immense gueule de chacal. Une gueule semblable à celles que je voyais, quand j’étais écolier, dans le livre de lecture. Quelques gouttes déviées par les barreaux de fer qui servent de grillage à mon balcon viennent me chatouiller, me réveiller, éveiller en moi le sentiment d’être en contact direct avec la Nature. La terre, pénétrée profondément et abondamment par l’eau céleste, exhale une odeur qui me déboussole, me saoule, remonte à la surface de ma mémoire les souvenirs enfouis de l’enfance. Mille images, triées dans je-ne-sais quel ordre, défilent devant les yeux de mon esprit. Mon cœur sursaute à chaque fois que l’effleure un souvenir, et vomit une douleur ou goûte à une douceur. 

 

    La pluie hausse le ton, le vent beugle, tout se referme autour de moi. O que j’aime cette prison ! Tout m’invite à un voyage en moi-même. Je ressortirai quand la terre cessera d’avoir ses envies et enfantera dans quelques temps le printemps.         

Partager cet article
Repost0
3 novembre 2006 5 03 /11 /novembre /2006 00:03

    A chaque fête de la fin du ramadhan j’ai l’impression que j’entame une nouvelle étape de ma vie. Il résulte de ce changement une amélioration  de l’état de ma personne parfois, et parfois une détérioration. Je me réjouis lorsqu’il me semble que je suis la bonne voix de l’esprit et du bon sens. Je m’inquiète lorsque la passion arrive à voiler voire aveugler ma raison et m’encourager d’avancer dans un sens qui m’éloigne du chemin de la sagesse et du véritable bonheur. Mais aveugle je m’y aventure.

 

            La fête de cette année m’a placé au juste milieu, une situation fragile ; Une brise, une petite brise risque de me balancer du mauvais côté. J’ai la conviction cependant que seule le bien et l’honnêteté prennent le dessus ; parfois cela ne semble pas évident mais quand on cesse de remuer la bouteille l’huile prend toujours le dessus sur l’eau. J’aime mieux l’eau pour sa pureté mais les lois de la nature ont voulu que je lui préfère dans ce cas un autre liquide. Et si le destin décide un jour de m’offrir aux passions il réussira certes à me dénuder de mes branches mais je demeurerai debout et bien enraciné. Je garderai au fond de moi le premier noyau autour duquel tout le reste de ma personne était venu se constituer.

 

 

 

            Comme à chaque fête je dois immanquablement  rendre visite à Kheira. Je le fais depuis dix-neuf ans. Lorsque j’arrive chez elle, elle m’accueille en ouvrant tout grand les bras, me serre fortement et m’embrasse à m’étouffer. Je me sens comme un enfant, je n’ai jamais goûté à une chaleur humaine aussi intense, aussi pénétrante. Une fois dans sa chambre elle m’embrasse encore comme pour faire témoigner chaque coin de sa maison de ma présence. Et ça ne finit pas, de temps en temps elle passe son bras autour de mon cou et m’attire fortement vers elle. Je rougis, je me sens gêné et me demande si je mérite toute cette tendresse. « Je savais que tu allais venir, ils m’on dit que tu m’avais oubliée, mais mon cœur me disait que tu allais venir »

 

 

 

            Je lui tends le sac qui contient habituellement du henné, du savon, du parfum, des gâteaux et d’autres petites choses ; parfois j’y ajoute une robe. Je lui mets dans la main une modeste somme d’argent. Elle prie pour moi de toute sa profondeur ; j’ai eu toujours la certitude que ses prières m’évitaient une multitude de malheurs. Je la quitte habituellement après le déjeuner. Elle me raccompagne jusqu’à la porte de la petite cour en m’entourant de caresses, et comme toujours elle me lance:« Je t’attendrai l’année prochaine si Dieu le veut.» ; et je réponds : « Si Dieu le veut ».

 

 

 

            Dix-neuf ans, dix-neuf fois, la même scène se répète. Quel sens aurait la fête pour moi sans cette visite. Je dois beaucoup à cette femme : mon instruction, mon éducation, ma situation actuelle, et surtout cette tendresse dont elle me nourrissait. A l’époque où quand j’ai réussi à passer avec succès mon examen de sixième il n’y avait de collège d’enseignement secondaire dans notre douar, je ne pouvais donc pas poursuivre mes études. Il n’y avait pas de transport régulier pour rejoindre facilement le village ni d’internat au niveau du collège. Mon grand père qui faisait tout pour me voir réussir me plaça en pension chez cette femme avec qui il avait grandi et connaissait certainement ses valeurs.  J’ai passé quatre années chez elle sans me sentir véritablement étranger à sa famille que je n’avais jamais connue auparavant. Une famille pauvre, très pauvre même; le mari se levait tôt le matin pour aller à la boulangerie apporter gratuitement le gros pain qu’un grand bienfaiteur offrait quotidiennement à chaque pauvre du village. Cette pauvreté ne laissait aucune trace sur le visage de Kheira et ne paraissait nullement l’inquiéter; la chaleur du foyer cicatrisait vite les plaies et chassait les traits de la misère.

 

 

 

  Cette femme grandiose taisait mes bêtises et me protégeait contre la colère de son mari. C’était très difficile pour lui de se taire quand j’avais mes devoirs scolaires à faire et que je devais laisser la bougie allumée jusqu’à une heure tardive de la nuit. Une fois par semaine j’allais au cinéma, j’en étais fou ; kheira veillait, quand je rentrais tard, jusqu’à mon retour pour m’ouvrir de l’intérieur la porte de la cour. J’avais certains défauts que nulle autre femme, à l’exception de ma mère, ne pouvait tolérer. Elle les a toujours supportés. Jusqu’à maintenant je me trouve incapable de m’expliquer la raison pour laquelle elle m’aimait tant. Parfois je me hasarde à en chercher la cause puis j’y renonce. Vite j’y renonce !

 

 

 

  Elle avait à cette époque soixante-dix ans environ mais gardait sa vivacité et sa vigueur. Blanche, les yeux vert, pleine de patience ; « elle était une fée quand elle était jeune fille » m’arrivait-il de penser.

 

 

 

  Comme à chaque fête je m’apprêtais à lui rendre visite. J’avais tout acheté. Mais voilà que je rencontrai un ami qui n’allait certainement pas me lâcher facilement. Habituellement je ne dis jamais où je vais quand il s’agit de ce genre de visites. Je n’en parle à personne car je crains qu’un mot, qu’un conseil ne fasse trébucher mon cœur ou alourdir ses pas dans le chemin qui le mène à une tendresse, à un amour, et surtout à cette douce source d’où il s’abreuvait chaque année. Cet ami me connaissant bien et avait sans doute deviné que j’avais l’intention de me libérer de lui. Il me lança alors : « Kheira est morte la semaine dernière ». Si je savais que la mort me faisait la course j’aurais hâté le pas. Aucune larme ne jaillit de mes yeux, je ne voulais pas me vider d’un seul jet de mon chagrin;  et pourquoi ne pas le vivre, réparti sur le restant de mes jours ? Ma douleur était tellement douleur qu’elle sentait la douceur, obéissant à cette loi qui fait que chaque chose arrivant à son extrême se transforme en contraire. Je restais là, debout, mon sac à la main, il y avait du henné, du savon, du parfum, des gâteaux et d’autres petites choses…  

Partager cet article
Repost0