Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
18 novembre 2007 7 18 /11 /novembre /2007 00:00

« Voici ta chambre ! Ici, tu es chez toi ; ton travail est simple : tu t’occupes du ménage et de la cuisine, et de temps en temps tu descends mettre un peu d’ordre au bureau. Tiens ! Prends cet argent pour régler tes dettes et acheter des jouets pour les enfants, je vois qu’ils s’ennuient ».
Quand elle entendit ces phrases, Rachida crut qu’elle rêvait. Elle ferma les yeux puis les rouvrit et retrouva la dame qui venait de la délivrer au même endroit. « C’est donc vrai », faillit-elle s’écrier de joie. Elle prit les billets de la main de sa bienfaitrice et, les larmes aux yeux, articula : « Merci ! Votre geste est venu à point ».
Avant que naisse ce jour que le Destin désigna pour la soustraire à sa misère, Rachida n’avait jamais réellement désespéré. Certes, elle ne s’attendait pas à ce qu’une femme inconnue allait la cueillir d’un champ sec et brûlant où elle arrivait juste à vivoter, pour l’accueillir et la replanter dans une terre fertile, aux coté d’un cœur qui ne respire que générosité et propulse dans un sourire printanier les bourgeons de la bonté. Elle ne s’attendait pas que sa situation changerait subitement. Cependant, elle sentait au fond d’elle que la période difficile qu’elle traversait n’était que passagère. Rachida en était certaine. Et sa certitude l’avait encouragée à affronter toutes les adversités qui se succédèrent après le décès de son mari. Elle travailla dur pour nourrir ses deux enfants. Elle encaissait sans broncher les insultes de ses patrons et leurs injures, parce qu’elle savait que son esclavage n’était pas éternel. Sa souffrance avait atteint l’extrême et tout ce qui pourrait advenir après ne serait que moindre. Même s’il n y avait pas cette consolante lueur d’espoir qui gonflait son cœur d’ardeur, de patience, et lui faisait oublier la souffrance où elle baignait, Rachida n’aurait guère osé manquer de respect à un patron ou une maitresse de maison. Elle ne réagissait pas tout de suite à leurs reproches quoique très irritants et souvent irraisonnés. On l’accusait de négligence pour avoir seulement omis de vider un cendrier ou essuyer une vitre dans un coin oublié. Elle se taisait. Elle ravalait à contre cœur la salive qui s’unissait dans sa bouche, s’efforçait de lui échapper et aller s’éclabousser sur la figure qui l’engueulait. Elle ravalait les mots qu’elle savait soulageant mais ne pouvait pas les prononcer. Elle n’avait pas le choix et devait tout endurer, car un mot déplacé de sa part le matin, risquait de priver ses enfants de diner le soir. Les enfants, insouciants, rappelleraient alors à leur mère son devoir. Ils exigeraient que la nourriture soit prête au moment où se manifeste leur besoin de manger.
Malgré son obéissance et sa docilité, Rachida fut successivement renvoyée par trois employeurs. La femme qui l’engagea dès ses premiers jours de veuvage se plaignit de la présence permanente des ses enfants. Son second patron, un jeune homme sympathique lui expliqua que sa femme la trouvait trop jeune ; il la recommanda alors à un ami de son père, un retraité de l’armée qui avait choisi de finir ses jours en solitaire.
D’abord, le retraité accueillît Rachida avec une grande joie. Une joie qu’il exprimait en reconnaissant que son habitation avait justement besoin d’un souffle juvénile, d’une certaine vivacité. Il avouait qu’il aimait se rappeler les bruits des ustensiles de cuisine manipulés par les mains habiles d’une femme. Ainsi, pensait-il, ralentir l’avancée de la vieillesse qui se creusait, rides haïssables, sur son visage ; sa maison ne ressemblerait plus à une tombe, et il ne serait plus le corps sans âme qu’elle abritait.
Mais ensuite, il la renvoya. Le nouveau maitre avait l’habitude de travailler dans une discipline sans faille à la caserne, de se faire obéir. Trop obéir. La soumission de la jeune femme était imparfaite. D’ailleurs, elle ne semblait pas saisir le sens de son langage devenu au fil des jours plus explicite. Il trouvait qu’il n’avait pas tort de l’accuser de désobéissance et d’incompréhension. Il jugea même qu’elle méritait plus que le renvoi. Car elle osa défaire le monde de rêves que lui avait procuré sa solitude, sans apporter de contre partie. Il vécut alors la douleur profonde d’un jardinier qui voit ses fleurs piétinées par une vache…tarie.
Après qu’elle eut quitté cette maison, Rachida ne pensa qu’à une seule solution pour face aux exigences pressantes de ses enfants : aller s’installer à la sortie d’une mosquée et tendre la main. Mendier. Pourtant, elle avait encore d’autres choix. L’épicier du quartier, quelqu’un qui connaissait bien son mari, lui avait assuré de lui servir tout dont elle aurait besoin. Mais elle eut peur de trop s’endetter puis dépendre de cet homme qui ne semblait nullement bon croyant, car son comportement, et la façon dont il lui proposa son aide trahissaient les pensées malsaines qu’il nourrissait.
D’autres gens étaient venus témoigner à la veuve leur amitié et lui prêter assistance. Elle ne pouvait admettre, cependant, que ceux-là allaient la prendre en charge, elle et ses enfants, pendant longtemps. Elle ne se trompait pas. Elle se retrouva seule. Tout le monde l’avait fuie. Elle ne reprocha rien à personne ; chaque individu a une vie à vivre, et pour ne pas l’affadir, il doit éviter de trop s’inquiéter des ennuis des autres. Qu’il attende ses propres ennuis ! Rachida trouvait cela raisonnable ; chacun doit se débrouiller.
Elle avait tenu tête à la misère. Elle se pointait après les prières à la sortie de la mosquée. Sa main et celles de ses enfants se tendaient, implorantes, s’adressaient au fidèles pour les apitoyer et éveiller leur générosité. Elle se sentait en cet endroit en sécurité ; nul n’osait l’offenser. Les maux terrestres ne se réinstallent ordinairement dans les cœurs des fidèles que longtemps après les prières.
Ce fut un coup de klaxon qui lui annonça la fin de ses jours pénibles. Elle pensa d’abord que ça provenait de la voiture de l’un de ces vieux hommes aux cheveux grisonnants, que la fortune avait rajeunis et emplis d’impudeur. Elle continua alors son chemin sans se retourner. Mais la voiture s’avança, s’arrêta à sa proximité. Rachida constata qu’une femme était au volant :
-- Montez ! l’invita l’inconnue, je vous emmène chez-vous.
-- Merci madame, dit Rachida, nous sommes presque arrivés.
-- Montez ! Je vois que les enfants sont fatigués.
Rachida hésita un moment, puis ouvrit la portière arrière, poussent ses deux garçons à l’intérieur de la voiture puis prit place à coté de sa bienfaitrice.
A suivre…

Partager cet article
Repost0
17 novembre 2007 6 17 /11 /novembre /2007 00:00

Elle ôte son voile, le replie puis le remet dans l’armoire. Elle s’apprêtait à aller le voir chez-lui ; elle a changé d’avis au dernier moment. « Je ne vais pas aujourd’hui, il faut patienter. Patienter ? Mais attendre quoi ? Il faut que je lui parle, que je le prévienne. Je n’irai pas chez lui, je n’ai pas envie de revivre le cauchemar. Demain je descendrai le voir au travail. Quelle sera sa réaction ? Et s’il ne veut rien reconnaître... ?
Saber ne lui a presque pas adressé la parole depuis le soir où il la déshonora. Il n’osait même pas la regarder pour ne plus s’en souvenir. Au lendemain de ce jour-là, Saber était venu honteusement lui faire ses excuses : «  Je ne sais pas comme j’ai osé… balbutiait-il, je vous prie de me pardonner et ne parler à personne de ça ». Et tout fut collé à Satan. Rachida n’avait pas répondu. Qu’aurait-il pensé si elle avait dit qu’elle le pardonne. Elle préféra se taire sans laisser apparaitre la moindre expression. Elle préféra le silence, cette page vierge à laquelle on peut donner, le moment venu, la couleur qui convient le mieux.
Mais aujourd’hui elle ne peut plus se taire, car les choses ne se sont pas passées comme elle s’y attendait. Elle voulut bien croire à un incident passager mais les conséquences de l’imprudence de Saber poussent obstinément comme les bourgeons d’une plante nuisible. Le silence qu’elle a voulu page blanche exige d’être coloré. Le silence qu’elle a cru platitude commencera dans quelques semaines à s’onduler, s’hérisser de bruits accusateurs et de chuchotements hypocrites. Le cercle de l’angoisse se rétrécira autour d’elle à mesure que s’enflera son ventre. Le silence sera déchiré dans les mois à venir par les cris d’un nouveau-né qui ne se laissera pas museler et exigera que son nom soit inscrit sur une véritable page blanche, quelque part dans un registre à la mairie.
Elle ne peut plus se taire. Elle est certaine qu’elle est enceinte. Elle est aux prises des mêmes malaises qu’elle avait eus aux débuts de ses deux précédentes grossesses. Elle doit mettre Saber au courant de tout cela, il en est responsable. Mais comment ? Que pensera d’elle la maitresse de maison si les bruits du scandale lui parviennent. Et ce qui apeure le plus la femme de ménage est qu’elle ignore le genre de lien entre sa patronne Badra et Saber. Elle hésite entre l’amitié, l’amour et la pitié. Cette hésitation l’empêche d’agir, de faire connaitre à son collègue que l’enfant qu’elle porte est de lui. Elle risque de révolter la patronne, sa source de vie ; surtout si cette dernière est amoureuse de Saber.
Mais comment peuvent-ils s’aimer ? Ils ne sortent jamais ensemble ; ils se parlent peu…mais on sent qu’il existe un lien entre eux. Un lien solide.
Le chef de chantier, dépassant la cinquantaine mais paraissant s’agripper plus qu’un adolescent à ses rêves, a appris à Rachida que Saber n’était qu’un simple ouvrier qui, après la mort tragique du patron, fut désigné par sa veuve pour s’occuper des affaires administratives. Le chef de chantier n’apprécia pas le choix qu’avait fait Badra. «  Ce Saber, a-t-il expliqué à Rachida, n’est qu’un pauvre cinglé qui a de la chance. Sinon comment l’a-t-elle préféré à mon fils qui est plus instruit et possède une bonne expérience dans le domaine ? Elle a préféré quelqu’un qui lui avait manqué de respect, qui l’avait même giflé dans la rue, devant tout le monde. Vas-y comprendre ce genre de femmes. On dirait qu’elles aiment les hommes qui les brutalisent… ».
Elle ne redonna plus l’occasion au chef de chantier de lui parler de Badra. Elle savait qu’il ne dirait rien de bien de la patronne, ni ne sera en mesure de la renseigner sur la relation entre elle et Saber. Si Rachida lui avait posé la question, il aurait répondu sans réfléchir qu’ils sont plus mari et femme qu’employeuse et employé ; il aurait tout inventé pour les salir. Il aurait ôté tout espoir à la femme de ménage de sortir de son propre labyrinthe.
Ce n’est pas seulement pour cette raison qu’elle l’évite maintenant de plus en plus. Cet homme qu’elle a considéré au premier abord comme un grand frère, voire un père, semble loin de mériter une telle estime. Elle pense qu’il avait vécu une jeunesse ratée qu’il tente de rattraper. Une jeunesse dont les besoins, certainement inassouvis en leurs temps, continuent de s’exprimer plaintivement dans son sourire, teinte de gamineries sa voix et ses manières de garçon impoli. Intacte et juvénile, sa virilité ressort vulgairement de ses yeux impudiques.
Un sourire amer échappe à Rachida quand elle évoque qu’elle voulait faire de lui un père. Un sourire amer comme le visage agité et indécis du chef de chantier ; amer comme le fruit qui demeure après sa saison, pendu, solitaire et indésirable, aux branches nues de l’arbre mère.
Elle n’aurait pas eu tant de mépris pour cet homme s’il n’avait pas calomnié Badra en sa présence. Elle ne supporte pas qu’on insulte cette femme, car elle est sa providence et son salut. La maitresse de maison fait tout pour la rendre heureuse et réalise tous les souhaits de ses enfants ; elle agit comme si c’était un devoir. Son unique devoir. Avant de la rencontrer, Rachida pensait qu’il ne pouvait exister une personne aussi aimable et généreuse. Et si ce n’est cette relation encore douteuse qui attache la patronne au père de son futur enfant, elle n’aurait pas hésité un instant à lui révéler son secret et lui demander de l’aider à sortir de son dilemme.
Mais tant que rien n’est clair, elle ne s’aventurera pas à solliciter ce concours, de peur de se trahir et blesser profondément Badra qui l’accueillît au moment où tout le monde la repoussait.
A suivre…

Partager cet article
Repost0
16 novembre 2007 5 16 /11 /novembre /2007 00:00

  
    Badra s’affale dans un fauteuil placé près de la fenêtre. Elle préfère cet endroit quand il pleut. Elle attend maintenant les premières gouttes de pluie. Il lui plait énormément de les voir heurter les vitres puis descendre en larmes et aller se perdre là dessous, dans ce lopin de terre que son mari appelle « jardin », où seules les plantes persistantes se tiennent droites comme pour vanter leur endurance.
   Elle ouvrira les vitres quand il commencera à pleuvoir, sortira sa main juste pour se mouiller, palper et saluer la pluie. Elle fermera avant que ne lui parvienne l’odeur brutale de la terre qui risque de l’enivrer et la replonger dans des souvenirs lointains.  
   Le remords d’être la cause de la mort d’un innocent patient ne l’avait pas quittée un instant, surtout durant la première semaine qui suivit l’incident.
   Quand le docteur Safi était venu -- au lendemain du jour où elle avait commis ce qu’elle n’aime guère évoquer-- lui rendre visite et lui demander par le même occasion de signer le certificat de décès, elle ne fut nullement surprise d’y lire un autre nom que celui de Saber. Elle ne posa pas de question afin de ne pas éveiller le moindre soupçon. Elle lui proposa :
   -- Je vais signer ça au bureau.
   -- Au bureau ? s’étonna le docteur Safi, mais tu dois te reposer.
   -- C’est juste pour récupérer quelques affaires personnelles et déposer une demande de congé de quelques semaines.
   -- Partons alors !  
   Arrivée à l’hôpital, elle alla saluer furtivement les parents de sa victime, qui étaient présents puis, profitant de l’absence de ses collègues, courut vers la chambre où s’était déferlée la veille sa folie. Elle voulait récupérer les papiers qu’elle avait oubliés dans la poche de son tablier. Elle ne trouva rien. Elle pensa alors que le tout a été jeté et repoussa toute autre idée. Elle eut une folle envie d’en finir avec cette histoire. Elle se rendit alors à son bureau, rédigea sa demande de congé et signa le certificat de décès.
   Badra éprouva une discrète satisfaction quand elle apprit que son mari allait partir en voyage d’affaires à l’étranger. Elle s’était lassée de dissimuler ses angoisses qui entachaient ses gestes, sa voix et qui se manifestaient en cauchemars la nuit. Parfois toute la scène lui revenait à l’esprit. Elle sentait les mains de l’homme mourant la repousser brutalement, revoyait son corps se débattre puis tout d’un coup s’abandonner à l’inertie, et revivait le moment de sa propre démence.
   Ce qui l’amenait au point de décider tout avouer, mais elle renonçait, se demandant si elle était vraiment coupable, si elle méritait d’être punie pour un acte involontairement commis. « C’est injuste, jugeait-elle. C’est injuste de ne pouvoir enfanter comme toutes les femmes, de ne pouvoir faire valoir mon charme pour mon mari ; injuste d’être délaissée tout le temps et même trompée. Ne suis-je pas assez punie ? »
   Elle réussissait à s’apaiser quand elle raisonnait de cette manière. Sa mémoire lui obéissait, se laissait amadouer et classait, pour un bout temps, tout au fond d’elle, un passé récent. Sa mémoire s’embrumait et lui offrait des occasions pour banaliser momentanément son crime.
   Cet oubli temporaire aida Badra quelques jours après à se consacrer à la recherche de Saber. Ce fut une aventure passionnante. Ses efforts n’aboutirent pas aisément. Cependant, au moment où elle désespéra elle trouva une copie de la fiche de paie de Saber dans le bureau de son mari.
   Quand elle apprit que Saber travaillait chez son mari, elle recourut à la ruse pour reconquérir un cœur qui tout petit lui fut dérobé. Elle prit toutes les précautions pour que le hasard ne puis désagréablement la surprendre. Il lui sembla, en agissant de la sorte, qu’elle n’était plus elle-même. Et ne voulait plus continuer à être elle-même.
   Elle avait décidé, avant d’aller voir Saber au magasin, de piétiner tout ce qu’on appelle : valeurs morales ; braver toutes ces lois dont la société se sert pour bâtir autour de chaque individu, et dès sa naissance, les murailles qui l’emprisonneraient durant toute son existence. Ces murailles qui se sont toujours interposées entre Badra et ses rêves.
   Elle préféra, dès l’instant où elle conclut qu’elle devrait forcer les barreaux de sa prison, la peau d’une bête muette, inintelligente mais libre, à celle d’un être pensant mais dont l’effort d’atteindre son espoir ne s’avère que vain tâtonnement qui le ramène toujours à son point de départ. Elle préféra satisfaire tel un animal tout désire qui se manifeste, ignorant les tabous auxquels elle fut maintes heurtée. Elle désire se répandre, se désintégrer et ne se reconstituer et se raffermir qu’autour d’un noyau solide source continu de délices. Elle fut certaine que la présence de son ami d’enfance l’aiderait à surmonter tout obstacle et assouvir sa dévorante passion qui , ne trouvant pas d’apaisement à l’extérieur, n’avait pas cessé de la consumer en entamant le bout de chair le plus tendre en elle : ce cœur qui a longtemps et inutilement palpité.
   Elle se rendit alors au lendemain de son heureuse découverte au Magasin et retrouva Saber. Elle devait exécuter ce que son esprit lui avait dicté : provoquer une dispute.
   Sitôt ce premier pas franchi, elle retourna chez elle et s’empressa d'écrire à Saber pour s’excuser et lui dévoiler tout ce qu’elle taisait.
   Ce qui restait au fond de Badra de fierté et de fidélité retarda l’envoi de sa lettre. Elle ne réussit à la poster que dix jours plus tard.
   Elles tardent, les premières gouttes de pluie. Le ciel ne fait que se couvrir, depuis ce matin,  de gros et silencieux nuages. Comme se couvre de chagrin un triste visage sans laisser s’échapper une seule larme. De tels visages ont toujours cédé. Le ciel cèdera aussi d’ici peu. Tout finira par céder.
   Badra craint cette fois-ci de ne pouvoir jouir pleinement de sa contemplation préférée. L’empêcherait le contenu de cette lettre qu’elle a reçu ce matin. Une réponse de Saber. Elle l’a lue et relue et ne sait qu’en penser. Elle a commencé à voir différemment les choses à la fin de sa lecture…C’est la première fois qu’elle passe sa main sur son ventre plat comme un désert où rien ne pousse, sans se soucier de son infertilité.  
   Les premières gouttes de pluie crépitent sur les vitres comme si elles attendaient que Badra finisse sa lecture pour l’applaudir. Les bruits de la rue s’étouffent à mesure que la pluie hausse le temps. Un son strident fausse l’harmonie de la mélodie : le retentissement de la sonnette.
-- Qui est-ce? demande Badra, avant d’ouvrir.
-- Police !  
 
 A suivre…  

Partager cet article
Repost0
16 novembre 2007 5 16 /11 /novembre /2007 00:00

  
   Badra ouvre la porte, et se trouvant en face de trois policiers, se sent traversée par un frisson dont elle arrive à peine à dissimuler les effets ; deux agents en uniformes , le troisième en tenue civile, genre cet inspecteur qu’on voit dans les films, à qui rien n’échappe, et qui, tôt ou tard met la main sur le criminel, en partant d’un mégot, d’une empreinte, d’un cheveux…tout ce qui est plus petit qu’un tablier maculé de sang.
   -- Vous êtes bien Madame…Badra ?
   -- Oui Monsieur…
   -- L’inspecteur, précise-t-il, puis ajoute :
   -- Préparez vous pour nous accompagner !
   -- Vous accompagner ? Où ça ?
   -- A l’hôpital !
   -- A l’hôpital ? Mais je suis en congé !
   -- Vous devez nous accompagner pour une affaire vous concernant.
   -- Quelle affaire ? Expliquez-moi !
   -- On ne peut rien vous dire maintenant, préparez-vous madame !
   -- Attendez une minute, dit-elle, en refermant la porte.
   Elle tire un manteau du placard, le premier qui lui est tombé sous la main. Elle l’endosse en murmurant : « ça y est ! Ils savent que je l’ai tué. Tué ? Non, je l’ai achevé. J’avais le pressentiment qu’ils allaient le savoir un jour. Il y avait beaucoup d’indices : le tablier, le soin et l’intérêt particulier portés au patient, le remplacement de la personne désignée pour assurer la permanence… Et ces salopes d’infirmières ! Elles avaient certainement tout remarqué. Elles n’auraient pas hésité à me dénoncer, pourtant j’étais toujours gentilles avec elles. Je le savais…Je ne peux maintenant rien nier ».
   Le véhicule de la police démarre. Badra est assise sur la banquette arrière, à coté de l’inspecteur. Tout le monde garde le silence. Elle observe du coin de l’œil le policier. Il a l’air embarrassé. Il porte la main à son front. Il la repose sur sa jambe. Ses lèvres s’entrouvrent. Il va dire quelque chose. Non. Il renonce. Il se comporte comme quelqu’un qui sent…la pitié. Badra s’apprête à tout dire ; tout dire avant qu’on l’interroge. Il lui suffirait d’une phrase : «  Oui, c’est moi », et lui serait épargné un interminable interrogatoire. Elle devrait ajouter : « je l’ai tué par erreur, je ne suis pas une criminelle ». Et si j’expliquais tout à cet homme avant d’arriver à l’hôpital ? L’inspecteur semble avoir bon cœur. Il est sympathique, il me comprendra.
   -- Monsieur l’inspecteur !
   -- Oui madame ?
   -- Oh ! Rien, je m’excuse…
   Non ! Non ! Non ! D’innombrables « Non » sur le pare-brise de la voiture. Les essuie-glaces les dessinent comme le feraient deux longs index avertisseurs. Ils balaient les gouttes de pluie et ne leur laisse guère le temps de s’unir et former les petits ruisseaux qu’admire tant Badra. Il lui semble que leurs va-et-vient se passent à l’intérieur de son esprit, effacent par chaque mouvement les mots qui peinent pour s’assembler et former l’expression intelligible qu’elle s’efforce d’extérioriser. Son aveu demeure un vouloir sans pouvoir.
   Les feux rouges s’imposent ça et là, autoritaires et plus rouges que jamais. Et quand ça passe au vert, cette couleur, quoique libératrice, s’annonce encore plus intense, plus méchante, elle revient vite à chaque fois comme pour précipiter l’arrivée. Ou c’est peut-être parce qu’il fait sombre que les lumières doublent de vivacité. Une tache blanche n’est plus la même sur des fonds de couleurs différentes. Peut-être l’agressivité des signaux lumineux s’adresse à Badra dans un curieux langage pour la provoquer, insiste pour qu’elle avoue. « Tout semble attendre mon châtiment ».
   On arrive à l’hôpital. Le conducteur prend la ruelle qui mène à la morgue. « Mon Dieu, se demande Badra, on ne l’a pas encore enterré ou quoi ? ».
   Le silence qu’exhale l’inertie des cadavres et l’absence totale des âmes qui les avaient animés, donnent à la morgue une singulière atmosphère. L’immense salle à tiroirs est irrésistiblement comparable à un poste de frontière qui sépare deux contrées : la Vie et la Mort. Badra l’a plusieurs fois visitée mais pour d’autres raisons et en d’autres circonstances. Elle est maintenant certaine qu’on va lui montrer le visage de sa victime. Ce n’est là qu’une simple formalité. Elle s’était déjà décidée en cours de route : «  J’ai commis une faute, je dois payer ». C’est mathématiquement juste. Mathématiquement !
   L’inspecteur ordonne à l’agent de lever le voile. Le policier s’exécute, interroge Badra :
  Elle reste perplexe le temps de consommer sa surprise. Mais oui ! Elle la reconnaît. Elle l’avait vue plusieurs fois en compagnie de son propre mari. Elle a même sa photo cachée à la maison ; elle l’avait retirée de la poche de Kouider. Au verso de la photo, était écrit « Ta Louiza ».  Elle comprend maintenant pourquoi elle est là, certainement pour être accusée du meurtre de cette femme.  
 -- Non, je ne l’ai jamais vue, répond-elle, en essayant de garder son sang froid.
  Badra n’a que très peu menti dans sa vie. Elle aime toujours dire la vérité. Mais sa crainte d’être impliquée dans de pareilles histoires a sécrété ce jour le mensonge. Elle a hâte de quitter la morgue et ne plus y penser.
 -- Vous êtes sûre, madame, de ce que vous dites ? insiste le policier.
 -- oui plus que sûre, affirme-t-elle en se préparant à partir.
 -- Bon, je vais te montrer l’autre.
 Et le second voile est levé…
   Le voile est levé et laisse impitoyablement apparaître le visage de Kouider, son mari, maculé de sang.
   Une tache d’un vert sombre surgit devant les yeux de Badra. La tache s’approche, s’agrandit, l’ensevelit, l’engloutit. Tout se mêle en elle, et sa faculté d’exprimer un tel mélange s’avère défaillante. Elle perd connaissance, seule façon de se soustraire aux douleurs insupportables du choc. Le sort fixe parfois l’être humain d’un regard tellement insoutenable qu’il recourt à son inconscient pour s’y refugier momentanément ou y demeurer d’une façon définitive.
   Badra avait saisi, avant que ne se ferme complètement derrière elle la porte de son idéal refuge incolore et indolore, quelques bribes des propos échangés entre les policiers. Elle avait entendu : « Revenaient…Aéroport…Accident…». Les sons allaient, revenaient, comme malmenés par une sorte de vent.

Partager cet article
Repost0
15 novembre 2007 4 15 /11 /novembre /2007 00:00

  
    « En te découvrant, même dans ce malheureux état, des horizons bienveillants me sont ouverts et l’espoir de refaire ma vie avec toi m’a follement possédée. Tu t’es montré au moment où ma faculté d’encore supporter mon mari et son monde infernal d’affaires, allait fléchir…J’étais tel un oiseau migrateur qui, l’aile brisée, survolait désespérément un interminable océan, et venant à bout de souffle, vit poindre une ile paradisiaque. Je t’avoue que je me suis trop précipitée, ne m’en veux pas Saber, je t’en prie ; j’avais tant besoin de changer d’univers. Hélas ! Mon désir de le faire déferla d’un seul jet, d’une force avéré impitoyablement meurtrière. Si on me coince, je rigolerai demain en voyant mon mari se lamenter, car le scandale aura de très mauvais effets sur ses affaires. Si on me coince, comment ira-t-on me punir ? Y a-t-il un châtiment pire que ta disparition ? La prison n’aura pas dans mon esprit l’étroitesse de ce monde qu’on dit immense. Ses murailles quoiqu’infiniment hautes et épaisses n’emprisonneront guère mon esprit. Je ne craindrai pas la froideur de la cellule obscure puisque c’est la tiédeur apparente de l’aisance qui glace et durcit les cœurs. Je penserai à toi Saber ; je passerai le restant de mes jours à t’aimer, comme si ton âme, au lieu de rejoindre le ciel, est venue en moi prendre refuge. Du bruit, des voix tirent Badra de son fantasme et la mettent face à sa conscience. Les pas approchent et le temps s’avère trop court pour trancher. Que doit-elle faire ? Avouer qu’elle avait tué cet homme, reconnaitre ses moments de démence, se libérer d’elle-même, se fuir, se contester ? Ou doit-elle agir autrement ? Tout remettre en ordre et annoncer que le patient avait succombé à ses blessures. Une formule banale à l’hôpital.
   Doit-elle se vider aussitôt de ses remords ou s’en emplir davantage. Elle opte pour cette dernière résolution. Car, a-t-elle pensé, je serai toujours en mesure de tout dévoiler le moment venu mais je ne pourrai, si je me dénonce maintenant, rien réparer. On peut se noyer le temps voulu tant qu’on est hors de l’eau.
   Tout cela se déroula dans son esprit en quelques secondes seulement. Sa décision prise, elle remet péniblement le corps sur le lit, efface tous les indices compromettants, se débarrasse de son tablier maculé de sang. Elle s’accorde une courte trêve, un moment de répit, afin de s’assembler, se reconstituer pour affronter ce que le sort lui réserve. En sortant de la chambre, elle s’efforcera de faire une tête complètement semblable à celle qu’elle faisait chaque fois qu’un de ses patients décède. Tout en elle lui dicte de se dépenser à fond ; simuler l’opposé de ce qu’on ressent n’est pas simple.
   La voyant sortir, une infirmière vient à sa rencontre :
   -- Docteur, une femme et son enfant attendent dans la salle.
   -- Qu’est ce qu’il a, l’enfant ?
   -- L’enfant ? Rien. C’est la femme qui vient s’enquérir sur l’état de son mari.
   -- Tu sais bien que ce n’est pas l’heure des visites.
   -- C’est ce que j’ai essayé de lui faire comprendre…
   -- Et alors ?
   -- elle dit qu’elle s’inquiète pour son mari qui a été agressé ce matin en sortant d’un bain maure.
   Badra ne sait que dire ; l’infirmière enchaine :
   Le chauffeur qui a amené cette femme, lui a expliqué que son mari qui était poursuivi par ses agresseurs se refugia dans un hammam, se vêtit d’autres habits volés à l’intérieur du bain pour tromper leur vigilance, et ressortit. Mais ils l’ont reconnu…
   Badra lâche un long soupir : «Ce n’était donc pas Saber ». Mais sa joie discrète est vite ternie par la cruauté de son acte.
  A suivre...

Partager cet article
Repost0
14 novembre 2007 3 14 /11 /novembre /2007 00:00

  
    «  J’ai donc beaucoup changé. Saber ne m’a pas reconnue. Il me regarde comme s’il ne m’a jamais vue. Il est encore souffrant, ce qui l’empêche peut-être de se souvenir de moi. Il ne doit pas m’oublier. Il n’oubliera pas, lui. Si nous étions restés ensemble, les jours perdus auraient été tout autres. Il m’aurait bien comprise. Nous serions arrivés aux cimes du bonheur ; Nos joies auraient pris source dans nous abîmes ; et nous aurions eu beaucoup d’enfants…
   Les gémissements des malades se sont tus. Et s’est tu le résonnement des pas des infirmières dans les couloirs. La nuit vient de faire taire tout le monde. Seul, demeure le silence qui peut donner naissance à moments apaisants menant à la quiétude et à la sagesse ; mais aussi enfanter des impressions imprévisibles ouvrant la voie de l’anxiété et de la folie. Le silence se pétrit obéissant au règne de la paix à l’intérieur de celui qui le vit, ou au pullulement de ses tourments et l’obstination aveugle de sa passion. Il se moule ange éclairant la voix du bien, ou diable chantonnant le mal, douce mélodie envoûtante. Et c’est la chanson que s’entend fredonner Badra maintenant. Elle ne résiste plus à la passion qui la torture. L’idée de s’aventurer dans un chemin que lui désigne son cœur, persiste, s’accentue. Peu importe ce qu’on pensera d’elle, pourvu que ça lui plaise et la console.
   Sa raison fond, au fil du temps, comme un iceberg réchauffé, et se faufile eau sauvage envahissant le lit abandonné d’une rivière serpentant une plaine assoiffée…Ses mains se tendent machinalement comme pour empoigner un rêve, butent à mi-chemin sur deux maigres joues, creuses et pierreuses, et trouvent goût à les emplir de tendresse. Et le patient parvient enfin à articuler :
   -- Tu me fais mal !
   -- qu’est ce que tu as dit ? Tu as dit que tu te rappelles ?
   Elle approche le visage du sien pour bien entendre ce qu’il murmure. Les lèvres de Badra tremblent fiévreusement. Et comment faire pour les dissimuler si elle n’ose pas…
   Il tente de détourner le visage. « Quoi ? Toi aussi tu me fuis ? Comme si j’étais une bête féroce ? Toi aussi, Saber, tu oses me repousser. Tu ne me permets pas de t’embrasser après tant d’années d’absence… »
   Les sourdes plaintes ne parviennent qu’à peine à Badra. Elle les étouffe maintenant en laissant peser toute sa lourdeur sur la poitrine rocheuse de son patient. Gagné par la crainte de se retrouver dans une situation inexplicable, il réussit à se dégager, comme s’il était alimenté d’une force supplémentaire. Une force, juge Badra, qui l’aiderait à se lever, l’écarter et s’enfuir. Elle mesure les conséquences qui peuvent en résulter ; angoissée, elle entrevoit ce qui pourrait advenir après cela. L’impensable. Elle s y est déjà trop aventurée pour en revenir. Elle se sent fortement repoussée, offensée, humiliée, brutalisée. Aucun moyen ne lui reste pour maitriser son patient qui se débat pour s’échapper et aller répandre le scandale. Non, il en reste encore : la gorge ! Badra s’arrange alors pour que ça tombe à l’intérieur de l’arc ou naissent le pouce te l’index. Sa prise ne fait qu’affoler le blessé. Les visages, les corps, les membres se mêlent, s’amalgament, tombent du lit, se roulent sur le sol, se heurtent au mur, s’immobilisent. Elle n’a pas lâché prise. Elle tient encore la gorge dans sa main raidie par la crainte et l’angoisse. Elle n’est plus maitresse d’elle-même. Elle ne peut plus s’empêcher de serrer davantage, comme leurrée par l’inégalable extase que va produire un certain craquement…le patient s’abandonne à elle. Il s’abandonne pour tout gâcher…
   Il lui semble qu’elle vient d’avaler quelque chose de tiède et de salé. La saveur du sang a envahi sa bouche, et les manches de sa blouse en sont tout rouges. Elle se détache de lui dans un geste sans espoir de ne pas avoir commis le pire des actes…
   Le lit brutalement défait, le corps inerte par terre, l’air planeur de la mort qui règne dans la chambre, réveillent Badra de sa folie : «  Je suis une devenue une criminelle ! Plus que ça ! Un monstre !
   Elle recule lentement. Recule. S’adosse à la porte : «  Mais comment ai-je pu faire ça ? Détruire ce que j’ai cru avoir de plus cher dans la vie ? Tuer un homme ? Moi, tuer un homme ? Moi qui passe mes journées à soigner les gens, les protéger de la mort ? Allons bouge Saber ! dis-moi que c’est un cauchemar ! Dis que ce n’est pas moi qui t’ai étranglé ! Allons bouge Saber ! Dis à tout le monde que je suis innocente ! Personne ne me croirait, personne ne me comprendrait. L’essentiel c’est toi ! Toi seul. Sache bien que je n’avais pas l’intention de te faire du mal ; je voulais seulement te caresser, éveiller ta mémoire ; je voulais savoir si j’étais digne de toi, si je pouvais espérer d’être entourée tendrement par tes bras d’enfant qui ont grandi, j’y voyais un doux refuge…».     
    A suivre…

Partager cet article
Repost0
13 novembre 2007 2 13 /11 /novembre /2007 00:00

 
  Quelques jours passèrent, Badra accusa Saber du vol de son porte-plume. Elle l’attendit à la sortie de l’école et une dispute éclata entre les deux élèves. Elle le gifla violemment et reprit son objet. Elle ne s’attendait pas que les choses seraient d’une telle simplicité. Au moment où le garçon allait prendre le dessus leurs camarades intervinrent et les séparèrent.
   Elle demeura sur le lieu de la dispute entourée de ses amies. Saber s’était déjà éloigné, elle le suivait des yeux un moment ; les dunes de sable semblaient l’engloutir puis le vomir sans cesse, avant qu’il ne disparaisse complètement. Quand elle le perdit de vue, elle se rendit compte que le porte-plume récupéré n’était pas le sien. Un mélange de remords et de pitié naquit en elle et éveilla une envie inconsolable de pleurer pour se libérer de sa faute. Lui échappèrent alors de grosses larmes, abimèrent de leurs chaleurs ses tendres joues ; et de sa langue, elle découvrit pour la première fois de sa vie leur saveur salée. C’était aussi la première fois qu’il lui parut qu’elle pleurait pour une cause véritable.
   Cette dispute donna naissance à leur amitié ; n’arrive-t-il pas que la rose pousse dans le fumier ?
   Mais rien ne dure. Cette loi n’avait pas épargné la joie des deux écoliers. Saber quitta l’école pour aller habiter en ville car son père y a trouvé un emploi. Badra, fragilisé, n’avait pas supporté la douloureuse séparation. Elle n’était pas d’âge à souffrir d’un mal si poignant. Elle sentait qu’on lui soustrayait  un pan de sa vie. Qu’on l’offensait. Elle ne pouvait rien faire pour retenir saber, c’était une affaire d’adultes.
   Enfant, elle a vécu un horrible silence qui empoisonnera longtemps son existence. Enfant, elle a souffert des malaises d’un cœur déserté par quelque félicité au moment même où elle s’apprêtait à goûter à ses délices…
   Tout cela c’est du passé. Un passé dont les débris sont là, dans l’autre salle, sous forme d’une tête fracassée et un cœur froissé. Badra s’apprête à tout amasser et en bâtir un espoir.
   L’ouvrier est étendu, inerte, la tête et le visage bandés ; au pied de son lit, dans une corbeille, gît encore son bleu de travail de rouge tacheté. A coté, Badra assise sur une chaise, attend que son patient se réveille. Elle brûle de redécouvrir Saber. Les autres patients de la salle dorment, à l’exception de quelques uns qui la regardent curieusement… comme s’ils trouvent que son visage a perdu de son autorité et n’exhale plus cet air encourageant. Elle a oublié son devoir de médecin, ses larmes l’avaient ébranlée. Elle avait pleuré à l’idée d’avoir constaté que tous les efforts de ce garçon, toute son intelligence, toute sa gentillesse ne l’ont mené à rien.
   Et cela n’avait pas suffi au Destin. Il a fallu que le frappe aujourd’hui cet horrible malheur pour anéantir sa patience et son courage de braver l’adversité.
   Une infirmière intervient :
   -- Vous êtes encore fatiguée, docteur, allez vous reposer, je m’occuperai de lui.
   -- Où et le docteur Safi ?
   -- Il est parti, il a fait le nécessaire.
   -- Et qu’en a-t-il dit ?
  -- Qu’il faut veiller sur lui et ne pas le déranger
   -- Il n’a pas repris connaissance ?
   -- Si, mais il s’est rendormi peu après.
   -- Bon, débrouille-toi pour le mettre seul dans une chambre et préviens-moi aussitôt qu’il se réveille, ordonne Badra avant de rejoindre son bureau.
   -- D’accord.
   L’ordre de Badra sonnait vide de son habituelle véhémence. Il a failli n’être qu’une supplication.
 
   Vingt-trois heures, Badra n’est pas encore rentré chez-elle. Elle n’a pas de chez-elle, ni n’est cette femme en blanc, cette personnalité dominante et respectée de l’hôpital. Elle a horreur de demeurer éternellement dans la peau de cette prisonnière. Elle préfère le rôle de la vagabonde jeune fille libre de douze ans, qui attend dans la cour la sortie de classe se Saber qui subit en ce moment des épreuves beaucoup plus dures que celles d’autrefois.
   Elle s’est arrangée pour passer légalement la nuit à l’hôpital. Elle avait contacté le médecin qui devait être de permanence et lui avait suggéré de le remplacer ; elle avait mille et une raisons convaincantes. Son collègue s’en était réjoui.
   L’infirmière vient de lui apprendre que le nouveau patient s’est réveillé. Elle n’a pas encore bougé de son siège, malgré qu’elle attendait impatiemment ce moment. Elle avait jugé bon de patienter quelques minutes plutôt que de se précipiter. Elle doit se préparer pour revoir Saber, prendre un air modeste, jouer l’enfant, l’amie.
    Sa masse de chair s’arrache du fond du fauteuil et rejoint, hésitante et craintive, son cœur qui n’avait pas quitté le chevet de son singulier patient.
   Les yeux gonflés et à peines ouverts, l’air égaré, il s’efforce sans doute, comme tous ceux qui reviennent de loin, de récupérer les facultés qui lui permettraient de reconstituer les faits qui l’ont amené à cet endroit.
   Badra s’oublie dans la contemplation de ce visage parsemé de pansements. Il n y a que les creux des joues et la bouche qui ont échappé au massacre. Mais il est quand même là, tout près d’elle, le bel oiseau à l’aile cassée. Il a grandi. Il n’est plus enfant. Il est devenu un homme. Un vrai.
  Elle pose sa main sur le front brûlant du patient. Un doux frisson la parcourt, accélère les battements de son cœur. Elle lui demande :
   -- Tu te sens bien ?
   Il ne répond pas.
   -- Ce n’est pas grave tu vas t’en sortir.
   Il ne répond pas.
   -- Tu ne me reconnais pas ?
   -- . . .
   -- Je suis ton amie.
   -- . . .
   -- Ton amie Badra, nous étions ensemble à l’école.
   Les yeux du blessé s’ouvrent un peu plus qu’auparavant. Il la fixe d’un air interrogateur. Elle s’approche encore de lui, s’assoit sur le bord du lit. Les deux corps se frôlent. Elle lui prend la main et la tient fermement dans les siennes.
   -- C’était amusant, hein ?
   -- . . .
   -- C’est beau d’être enfant ?
   Il hoche la tête comme pour dire : oui.
   -- Tu m’entends donc ?
   Il hoche encore la tête affirmativement.
   -- ça y est ! Tu m’as reconnu maintenant ?
   Il lève la main, et de son index lui fait : non
 
 A suivre…

Partager cet article
Repost0
11 novembre 2007 7 11 /11 /novembre /2007 00:00

    Elle endosse d’un geste mécanique sa blouse blanche. Au travail alors ! Laissons à l’avenir le dernier mot ! Rien ne sert de vivre tous les temps ! En ce moment c’est le présent qui compte !
   Elle se dirige vers «  l’Urgence ». Un homme en bleu de travail est allongé sur le brancard. Badra écarte les infirmières et les deux hommes qui ont accompagné le blessé, et s’avance vers lui. Il saigne de plusieurs plaies à la tête et au visage. Le sang couvre le haut de sa poitrine. Il faut donc faire vite pour stopper l’hémorragie…
   C’est curieux ! Une atroce douleur parcourt tout le corps de Badra. Ses mains tremblent et elle n’est plus capable de les maitriser. Et sachant qu’elle n’est plus en mesure de soigner le malade elle-même, elle ordonne à une infirmière :
   -- Appelle le docteur Safi, demande lui de s’occuper du patient.
   Puis ajoute :
   -- Je ne me sens pas bien, je vais me reposer un peu.
   -- Madame ! intervient le plus costaud des deux hommes qui ont amené le malade.
   -- Oui ? s’inquiète Badra.
   -- Tenez madame, voilà ses papiers, on doit retourner à notre travail.
   -- Remettez-les au poste de police, là-bas, à gauche.
   -- Mais nous sommes pressés madame, et nous savons qu’on va nous retenir au poste de police…
   -- Vous n’avez qu’à dire ce que vous savez et partir.
   -- Nous ne savons pas grand-chose, madame ; nous ne connaissons pas cet homme ; ceux qui étaient présents nous ont expliqué qu’il sortait du hammam et des jeunes gens l’agressèrent puis s’enfuirent. Nous n’avons fait que notre devoir de  bon citoyens, en l’amenant à l’hôpital…
   -- Voici, dit l’autre, le numéro d’immatriculation de notre véhicule, en tendant un bout de papier à Badra.
    Elle ne peut plus continuer à supporter les deux hommes. Il vaut mieux, se dit-elle, en finir :
   -- Donnez-moi tout ça !
   Elle enfouit dans sa poche les papiers sans y jeter le moindre coup d’œil. Somnolente, elle regagne son bureau. Elle s’affale dans le fauteuil et attend que se calme son mal.
   Le malaise de Badra s’est apaisé quelque peu. Le calmant qu’elle avait pris auparavant lui a été d’un grand bien. Elle sent maintenant qu’elle reprend ses forces.
   Sa main se faufile comme instinctivement dans sa poche, retire le petit tas de papiers sales et froissés : une carte d’identité, une fiche de paie, et quelques feuilles noircies d’une écriture illisible. Elle fixe longuement la photo de la carte d’identité. Les yeux de cet homme lui semblent familiers. Il  n y a aucun doute, cette personne ne lui est pas étrangère. La mémoire de Badra peine dans de vaines tentatives de lui venir en aide. Elle lui fait pressentir qu’elle frôle ce qu’elle désire déterrer. Mais à mesure qu’elle axe toute la force de son esprit pour saisir ce que lui miroite hâtivement sa mémoire, tout s’éloigne et s’échappe.
   Elle se lasse de ce jeu, commence déjà à regretter de s’être obstinée à croire qu’elle avait vu auparavant ce visage quelque part. Pouvoir tout abandonner ne lui serait que d’un repos considérable. En est-elle capable ? Son cœur persiste, ne cesse d’insister, et ne semble nullement disposé à abandonner ce qu’elle avait entrepris.
   « Idiote! Je n’ai même pas pensé à lire son nom ; voyons comment s’appelle-t-il ? Saber ! Saber ! O Saber !"
   Elle tente de se lever. Ses pieds ne l’obéissent plus. Elle ne s’est pas complètement remise de son mal. Elle sait que cela passera après un moment de repos. Elle contemple encore la photo. « Oui, c’est lui ». Tout ce qui l’entoure, tout ce qui l’occupe, tout ce qui l’anime, s’efface pour ne laisser place qu’à de lointains souvenirs. Elle se retrouve dans un autre monde : son enfance. Elle revoit Saber le jour où elle l’avait rencontré la première fois.
   Elle avait neuf ans quand elle fit sa connaissance. Elle était à sa troisième année scolaire. Elle a eu la chance – est-ce vraiment une chance-- d’avoir juste l’âge de scolarisation au moment de l’ouverture de la première école du douar.
   Un jour, elle faisait l’inventaire de ses affaires scolaires et constata que son plus beau porte-plume avait disparu. Elle ne se plaignit pas mais jura de retrouver et punir le voleur. Elle n’était pas comme maintenant, peureuse et craintive. Elle ne se souciait pas de ce qui pourrait résulter de telle parole ou tel geste. Enfant, elle se battait, s’imposait. Il lui semble qu’elle avait épuisé son courage et sa hardiesse dans les petites querelles enfantines. C’est peut-être ce qui explique maintenant ses appréhensions et ses faiblesses face aux choses sérieuses…
A suivre...

Partager cet article
Repost0
10 novembre 2007 6 10 /11 /novembre /2007 00:00

  
   Quelques mois après leur mariage, Badra commença à bien découvrir Kouider. Elle trouvait qu’il était loin au-dessous des ses espoirs. Il n’avait rien du chevalier de ses rêves. « Mais, se disait-elle, ce n’est que les débuts, ça va certainement venir avec le temps ». Ça avait tardé. « Attendons, se consolait-elle, la naissance d’un enfant, ça va fortifier les liens ». Et l’enfant n’est jamais né, malgré qu’ils s’étaient faits examiner, tous les deux, par les meilleurs spécialistes du pays. Il fallait donc attendre. Attendre le Destin.
   Elle connait bien son mari maintenant. Agissant toujours d’une manière à montrer sa force et son importance Kouider dévoile sa faiblesse. Parfois, elle éprouve même de la pitié pour lui. Elle est certaine qu’il souffrira plus qu’elle, s’il arrive qu’ils se séparent. Et pour lui éviter cette souffrance, elle tente de l’intéresser à sa personne. Elle désire qu’il l’aime de l’amour dont elle rêve. Elle désire explorer l’abîme de son mari. Car, au sein de chaque être humain, s’enfuit au moins un brin de tendresse qui, parfois, cesse de se manifester sous le poids de quelques circonstances et s’endort comme un volcan éteint, avec cette différence que l’un renferme la douce chaleur humaine et l’autre celle du feu brûlant. C’est du fond de kouider qu’elle aime qu’émanent son sourire, son regard, ses paroles…et cela n’a jamais été en réalité. Même les belles phrases qu’il lui répétait les premiers jours, juste après leur rencontre, et qui alléchaient Badra, ne provenaient pas des profondeurs de Kouider. Elles étaient les plaintes d’un véritable cœur déchiré d’un poète du dix-huitième siècle. Elle le sut en feuilletant un beau livre que cachait son mari et dont il tirait les belles paroles. Elle ne fut pas chagrinée, elle souriait en lisant au lieu de pleurer. «  Je suis compréhensive, moi ; je sais que lorsque quelqu’un s’obstine à obtenir quelque chose, il la cherche par tous les moyens. Et Kouider cherchait ma beauté. Il avait alors couru après moi comme un enfant derrière un bel oiseau ; une fois capturé, il le montre à ses amis et proches, puis le case dans une cage.
   C’est du passé. Un passé qui se disait prometteur mais qui n’a pas tenu ses promesses. Aujourd’hui Badra a bien compris qu’être belle n’est pour elle qu’un handicap. Un drôle de handicap. Sa beauté ne s’est jamais avérée comme une qualité supplémentaire à sa personne. Elle est certainement ôtée d’un autre endroit d’elle-même. Un endroit dévasté, déserté, où aurait pris racine et germé cette sorte de charme qu’admire Kouider en Louiza ou Dounia. Sa beauté compense un manque certes non apparent aux autres mais l’intime souffre de cette lacune. Ce fossé béant d’où étaient pris les ingrédients pour lui façonner la belle image. Badra s’était longuement cachée derrière son joli masque, le chargeant ainsi de jouer le rôle qui n’était peut-être pas sien…
   Elle travaillait au champ avec son père quand elle était enfant ; lorsqu’ils creusaient et faisaient un tas de terre humide ; il lui plaisait de contempler les heureux oiseaux qui venaient fouiner afin d’emplir leurs estomacs de tendres vers, ce qu’il leur permettrait ensuite de planer dans les airs sans se soucier durant un bon bout de temps. Cependant elle n’accordait aucune attention particulière aux fossés qu’ils laissaient en creusant, ouverts, comme plaintifs, pièges aux petites bêtes rampantes et non grimpantes qui venaient accidentellement s’y enterrer et endurer la souffrance des profondeurs.
   Badra est médecin. Elle a constaté que les patients aveugles entendent mieux, qu’un sommeil profond résulte d’une longue insomnie ; on pleure tant qu’on rit ; le blanc est blanc tant que le noir est noir. La vie lui semble telle une balance ; quand ça descend d’un coté ça doit remonter de l’autre. Elle ne sait alors vers quel sort est-elle balancée. Un certain doute impitoyablement incliné vers le désespoir, se profile à l’horizon de sa pensée…
   Le téléphone sonne.
   -- allo !
   -- Un cas grave, la prévient l’infirmière.
   -- je viens tout de suite.
 
A suivre…    

Partager cet article
Repost0
9 novembre 2007 5 09 /11 /novembre /2007 00:00

    
    Badra sort ses affaires du tiroir, dépose chaque objet à sa place habituelle, prend le téléphone et demande à l’infirmière si tout va bien ; s’il n ya pas de cas grave qui nécessite son intervention avant l’heure de sa tournée rituelle.
   C’est ainsi qu’elle commence toujours sa journée. Le moment de sa tournée venu, elle passe d’un lit à un autre, examine chaque patient, interrogeant l’un, posant sa main sur le front de l’autre…Cela la passionne. Il lui semble qu’elle est plus utile, et l’encouragent les yeux pleins de confiance de ces hommes et femmes contraint par le destin à rester cloués à leurs lits. Cela la passionne mais pas au point de se permettre de se comparer à une abeille se déplaçant d’une fleur à une autre, butinant le nectar. Elle est plutôt la fleur qui se complait à en donner.
   La monotonie de sa vie quotidienne a été quelque peu bousculée ce matin. Un autobus avait failli l’écraser à l’entrée de l’hôpital. Le conducteur, hors de lui, n’avait pas hésité à lui cracher à la figure ; l’idée de se retrouver en prison à cause d’une femme qui est venue se jeter devant son véhicule, lui avait fait certainement perdre la raison.
   Les excuses de Badra se heurtèrent à une interminable série d’insultes. La colère du chauffeur put même l’empêcher de faire montre de ce sourire que les hommes se plaisent à esquisser quand ils causent aux femmes. Ni la beauté de Badra ni son allure ne réussissent à mettre ce mâle à genoux, alors qu’ils avaient fait plier, combien de fois, tant d’autres.
   L’incident avait pris fin après la disparition de l’autobus au coin de la rue. Heureusement qu’elle en était sortie indemne.
   Indemne, aussi s’était-elle tirée d’une querelle matinale avec son mari ; un accrochage qui avait duré plus d’une demi-heure, et s’était soldé, encore heureusement, par un dos-à-dos.
   -- Que veux tu que je te fasse ? Que je te dresse un paradis ? s’était écrié Kouider, l’air sûr de sortir vainqueur.
   Puis, il avait enchainé, calmement cette fois, comme pour supplier Badra de reconnaitre son tort :
   -- Je ne vois pas ce qui te tracasse ; tu es la femme d’un homme d’affaires qui t’aime et n’a jamais douté de ta fidélité. Je n’ai à aucun moment cessé de vanter tes qualités à mes amis…Et en plus de tout cela, tu es médecin ; tu as plus de ce qui est vraiment nécessaire pour une femme ; tu ne manques de rien.
   Enfin, il avait ajouté en simulant un visage désolé :
   -- Je n’arrive pas à te comprendre, Badra ! Que veux-tu au juste ?
   Elle sortit en claquant la porte. Elle ne pouvait pas entendre plus. Kouider n’allait pas aborder l’essentiel. Il n’arrivera jamais à la comprendre ; ne l’avait-il pas reconnu ? Elle était abattue, et ne sachant que répondre ne put que s’enfuir. Le courage de tout dire, tout étaler devant son mari, l’avait quittée. Elle n’osa pas cracher ce qui la faisait bouillir, l’en avait empêchée ce reste de respect qui la lie à Kouider, et qui pourrait contenir le germe d’un espoir.
   Ses voisines jugent toujours qu’elle a tort de se plaindre. Le moindre reproche à son mari leur parait comme un geste indigne de la femme d’un homme aussi respectable. Elles arrivent à de pareilles déductions en estimant faussement les faveurs dont jouit Badra et les avantages dont elle profite, et que cite rituellement Kouider. Sa conduite incomprise ne résulte, à leurs yeux, que du vouloir de Badra de s’affirmer femme instruite donc libre, et de là, prétendre à une autorité sur son mari. Quelle déroute ! Combien se trompent-elles, ces femmes !
   Ces femmes qui, trouvant parfois l’occasion de rendre visite à Badra n’ont nullement l’attention attirée par le véritable besoin qu’elle ressent. Elles s’attardent à contempler les tableaux qui embellissent les murs ; elles ne cessent de caresser d’une main jalouse les meubles que renouvelle à chaque fois Kouider. «  Et tout ce luxe vient de là-bas, d’Outre-mer ! » se plaisent-elle à répéter. Elles n’oublient pas, en quittant la maison, de passer au garage saluer la « bête », c’est ainsi qu’elles appellent la grosse cylindrée, une voiture symbole de la richesse et du bonheur. Enfin, quand ses voisines s’apprêtent à partir, la jeune fille qui se prénomme Lynda, s’arrange toujours pour rester la dernière et poser sa question habituelle :
   -- n’avez-vous pas besoin d’une bonne ? D’une esclave ?
   Lynda est d’une taille assez mince. Elle marche vite, parle vite et mange vite. Elle aime se distinguer, et par sa hardiesse désire sans doute compenser son manque en chair ; la beauté, elle en a une pincée. Elle rêve certainement d’un chevalier comme Kouider. La pauvre !
   Aucune des voisines ne constate qu’il manque quelque chose dans la maison. Quelque chose plus chère que tout ce qui la meuble : Un berceau. Un berceau qui répand les pleurs et rires de l’enfant, musique qui éveille la mère au milieu de la nuit et l’invite à servir généreusement, chants et caresses, son amour et sa tendresse.
   A suivre…

Partager cet article
Repost0