Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
9 février 2008 6 09 /02 /février /2008 00:00

Elle ne lui téléphone plus, ni ne répond à ses appels. Il ne trouve aucune raison qui justifie ce silence. Il vient de faire revenir des souvenirs à la surface de sa mémoire et vérifier la teneur de ses propos lors de leurs récentes rencontres ; rien de blessant. Il la connait maintenant depuis des années. Il la connait orgueilleuse, têtue, capable de claquer une porte à la face de n’importe qui. Mais, hormis ses moments d’énervements, elle est tout le temps gaie, enjouée, esquissant en permanence un sourire innocent qui met le plus méfiant en confiance et guérit la timidité.
Elle bouclera à la fin de cet hiver son vingt-sixième printemps. Elle ne pense pas au mariage mais au choix du mari. Le voisin qui ne cesse de l’implorer lui paraît trop gosse, quoique plus âgé qu’elle. Et puis, elle ne souhaite pas se marier dans son petit village natal. Le mariage n’a pas un véritable sens s’il n’est pas source d’un profond changement. On y part pour d’autres êtres, pour d’autres lieux. Elle rêve des bienfaits de l’anonymat des grandes villes. Parfois son espoir ose aller au-delà des frontières. Elle est si sûre de sa personne, elle tire cette assurance des éloges de l’alentour. 
 Elle ne téléphone plus, ni ne répond à ses appels. Il ne sait pas pourquoi il n’arrive pas à oublier comme d’habitude les gens qui le boudent. Il a été toujours libre, indépendant, durant son demi-siècle de vie. Il a toujours cru qu’il était maître au sein de sa famille. Il permet à sa femme de s’exprimer pleinement, il encaisse en silence quand elle a raison mais réagit fermement quand il se sent injustement piétiné. Il arrive à supporter les tracasseries de ses enfants en se remémorant ses propres folles imprudences quand il était gamin. Il cassait tout sur son chemin, il s’enfuyait de l’école, volait de l’argent à ses parents, et faisait pipi au lit toutes les nuits.
Au fil de leurs rencontres, elle se révélait de plus en plus à lui. Elle aime avoir un compagnon pour sa vie comme lui. Elle aime avoir des enfants comme les siens. Elle le trouve discret et compréhensif, c’est pourquoi elle lui faisait part du moindre ennui, du moindre mal, le sachant réconfortant. Et amusée elle lui racontait ses nuits passées au téléphone avec des inconnus. Le portable à transformé son mode de vie, lui a permis de braver sans risque quelques tabous, s’exprimer pleinement, se faire entendre quelque part, connaitre d’autres gens et les écouter à en rougir.
Il frappe à sa porte. Comme d’habitude, heureuse de le voir, elle l’embrasse et l’invite à s’asseoir dans la grande salle assombrie par des rideaux rouge sang. Il lui reproche, l’air amusé, d’avoir ignoré ses appels ces derniers temps. Elle répond sans convaincre :
-- j’en ai assez du téléphone ; je ne parle plus à personne.
-- Et pourquoi ?
-- Je vais te préparer le café !
-- Non je ne suis que de passage
-- Reste avec moi un peu ! Je vais te préparer le café !
Bizarre ! Il trouve qu’elle a beaucoup changé en si peu de temps, en moins d’un mois. Il la regarde se diriger vers la cuisine d’une allure tout autre, comme celle d’une fille qui se sent vide et croit n’avoir rien de valeureux en elle à exhiber.
Il pense en attendant le café à cette curieuse situation. La jeune fille s’est attachée à sa personne mais elle sait, comme lui d’ailleurs, qu’il n y aura aucune issue à cette relation. Une relation qui se situe à mi-chemin entre l’amour et l’amitié. Il a presque le double de son âge ; il est marié et père de beaucoup d’enfants. Elle est à la fleur de l’âge et rêve comme toute fille d’avoir un homme à ses cotés. Un autre homme. Elle n’a certainement pas besoin de quelqu’un qui ne croit pas qu’avoir une maison, une femme et des enfants , équivaut à vivre pleinement. Il aime appartenir à tout le monde pour que tout le monde lui appartienne. Il aime déserter momentanément sa famille pour aller s’adonner ailleurs à son plaisir de bien faire, de chercher le besoin et la douleur de chacun et s’atteler à les satisfaire et les apaiser avec ses modestes moyens. Avec des mots quand il ne lui reste que les mots. L’expérience lui a montré cependant, que même sur le chemin de la bienfaisance il risque de s’enliser…
-- Voilà le café !
-- Alors, dis-moi, comment vas-tu ?
-- Pas bien.
-- Qu’est ce que tu as ?
-- J’ai été voir le médecin comme tu me l’as conseillé…
-- Et alors ?
-- J’ai fait une échographie.
-- Et alors ?
 -- J’ai un kyste dans mon petit ventre.
-- Voyons, un kyste, ce n’est pas grave je crois.
-- Mais je veux que personne ne sache ça, je ne l’ai même pas dit à mes sœurs et frères, seuls ma mère et mon père sont au courant…
-- Et le médecin ? Qu’est qu’il t’a dit ?
-- Il m’a prescrit des médicaments et m’a dit que je vais guérir…j’ai raconté aux autres que j’ai mal aux poumons, je ne veux pas qu’ils sachent.
-- Heureusement que ce n’est pas grave ! Je connais beaucoup de gens qui ont eu ce kyste et qui ont facilement guéri.
 Il ne sait pas pourquoi elle ne semble pas le croire, l’écouter. Elle hésite puis répète :
-- Je ne veux pas qu’ils sachent…
-- Ne pense pas aux autres ! Prends correctement tes médicaments et tu verras, tu guériras !
Il enchaine en souriant pour banaliser la situation :
-- Et c’est pour ça que tu ne réponds plus au téléphone ?
-- Je ne réponds plus ! Je ne veux entendre personne me dire des jolis mots alors que je sais que je ne vaux plus rien. Maintenant,  j’aime entendre le téléphone sonner le plus longuement possible, j’aime que ça persiste pour que je puisse montrer par mon silence à ceux qui m’appellent que je n’existe plus.
-- Tu t'affoles pour rien, ça va passer!
-- Je crois que c’est un nuage qui ne passe pas…  
-- Comment ça ?
-- Je ne t’ai pas dit toute la vérité.
-- Quoi ?
-- Le problème et que le kyste va retarder de trois mois l’intervention chirurgicale que je dois obligatoirement subir. Le médecin m’a affirmé qu’il est impossible de  s’attaquer à la tumeur que j’ai dans l’utérus avant que ne disparaisse le kyste…comment puis-je attendre alors que, disons-le, le cancer continuera à me ronger durant tout ce temps ?
Elle s’approche de lui, pose sans tête sur son épaule et commence à sangloter :
-- Je ne dors plus la nuit ! Me retrouvant seule et sans occupations je ne pense qu’à ma maladie. J’ai peur ! J’ai peur !
Il se tait. Il sait qu’elle verrait un pleur dans un sourire consolateur de sa part. Il devine de quel ciel elle retombe. Que de concessions doit-elle faire ! Que de renoncements ! Que de résignations ! Que de souffrances doit-elle endurer devant l’indifférence de ses proches, eux-mêmes victimes d’impuissance. Son petit village finira par tout savoir et excrétera la pitié dans tous les coins de rue.
Mais comme il est tout espoir, il lui fait savoir que ce mal est guérissable dans une grande proportion ; qu’il faut peut-être revenir au médecin plutôt que prévu, et surtout ne pas trop se torturer.
-- Je ne dors plus…
Il se tait. Il sait que pour entretenir un malade dans un petit village isolé, il faut de l’argent pour acheter tous les médicaments nécessaires, une voiture pour le transporter en cas de complications, une certaine connaissance dans ses alentours. Et tout cela fait défaut.
-- Je risque de ne plus avoir d’enfant après l’intervention…
Il se tait. Il se souvient des visages qu’il avait connus et que ce même mal a emportés. Il sent sur son épaule la chaleur de la tête brulante de la jeune fille ; il la fixe longuement ; et contre toute attente, recouvrant son orgueil et sa fierté,  elle lui esquisse à travers ses larmes un sourire angélique volé d’on ne sait quel paradis. Il baisse les yeux pour regarder le ciel de son être et entrevoit un nuage  qui venait de naitre en lui, répandant ses tentacules vers tous les horizons comme pour boucher toutes  les issues aux espoirs.

Partager cet article
Repost0
2 février 2008 6 02 /02 /février /2008 00:00

De la lucarne de ma cellule
La lune pénètre
Elle traverse une rivière de bleu sans fond
Des étoiles blêmes de désespoir l'accompagnent
 
La lune arrive au milieu de la traversée
Elle m'offre tout son éclat
Je fixe les deux rives
Deux nuages opaques s'imposent
Comme s'apprêtant à l'étrangler
 
Je ne sais si la blancheur de la lune
Cause la noirceur des nuages
Je ne sais si la noirceur des nuages
Cause la blancheur de la lune
 
Je suis frappé par le mal
De ne savoir mesurer
Ce qui me paraissait aisément mesurable
J'ai pris le risque de taquiner l'évidence
 
Dans le désert je me suis égaré
Un verre d'eau douce me paraît
Plus précieux qu'une mine d'or
Dans la mer je me suis égaré
Un bout de terre me paraît
Et mon âme s'emplit d'espoir
 
Qu'est-ce qu'un verre d'eau
Comparé à une mine d'or
Qu'est-ce un bout de terre
Comparé à une vie
 
La valeur de chaque chose
A été figée à tort
Alors que tout se mesure autrement
 
Une épaisse brume se mêle à la lune
Je ne vois pas la lune
La brume ne me la montre pas
Je ne vois pas la brume
La lune ne me la montre pas
Elles ne sont pas opposées
L'une ne peut désigner l'autre
Elles portent le même habit
 
Le ciel se confond au néant
Rien de frappant ou de leurrant
Ne vient m'arracher à l'emprise du sommeil.

Partager cet article
Repost0
29 janvier 2008 2 29 /01 /janvier /2008 00:00

A la neuvième lune on s'endort
Fuyant la nuit du ventre d’Eve
On s’apprête à vivre un long rêve
Dont l'issue n'est que regrets et remords
 
On bouge les mains puis tout le corps
C’est La vie! Un rêve vite s'achève
Les petites voix éclairées s'élèvent
Exprimant les bienfaits et les torts
 
On poursuit l'insaisissable espoir
Qui tant s'éloigne qu'on ne peut le voir
Qui tant grossit qu'on ne peut l'enlacer
 
Un mal altère notre profond sommeil
Nous traverse un frisson qui réveille
Notre instinctive envie de trépasser.

Partager cet article
Repost0
24 janvier 2008 4 24 /01 /janvier /2008 00:00

A partir du jour où tu m'as accroché
Je te sens te faufiler la nuit dans mon lit
T’emparer de mon gouvernail
Me secouer
Agiter mes tréfonds
Déchiqueter le voile de mon abîme
Laisser déferler toute ma lourdeur
Encre sombre et généreuse
Sur la blancheur des pages dociles
 
Qu'on renonce poésie
A nos rencontres muettes
Que chacun aille chez les siens
Rompre son silence
 
Je n'aurais pas souhaité
Qu'on se sépare poésie
Si tu ne t'étais pas manifesté
En plein jour
Partout tu me coinces
Dans une salle de bain
Au fond d'un café
Sur le siège d'un bus
Sur un trottoir
Au bord de la mer
Au bord de la folie
 
Et quand mes lèvres remuent
Pour te cracher
Ou les tiennes remuent
Pour me cracher poésie
Les passants nous fixent
Moqueurs
Me blessent
Te blessent
Et chacun de nous vomit l'autre
 
Qu'on renonce poésie
A nos rencontres muettes
Que chacun aille chez les siens
Rompre son silence.

Partager cet article
Repost0
11 janvier 2008 5 11 /01 /janvier /2008 00:00

Un homme en tenue civile, paraissant sûr de lui, pénétra dans l’avion d’une manière fracassante et fort désapprouvée par les « têtes dures ». Il empoigna brutalement par le bras le premier passager qui le trouva sur son chemin :

-- Descendez ! Descendez !

Les passagers et les agents se mélangèrent ; arrivèrent aussi les responsables de la Compagnie. L’appareil pullulait de gens. L’homme qui semblait sûr de lui exhiba son identité :

-- Je suis le commissaire ! Je vous ordonne de quitter l’avion immédiatement !

-- Un autocar pour rentrer chez-nous !

-- Vous avez le choix : ou bien vous quittez l’appareil et vous aurez tous vos droits, ou bien on vous  évacue de force et vous n’aurez aucun droit !

Tout le monde s’exclama :

-- De force !

-- Oui de force ! Et il risque d’y avoir des blessés !

-- Des blessés !

-- ça dépendra de vous, c’est à vous de choisir !

-- Tuez-nous alors ! Et puis après ! Nous avons acheté nos billets à la Compagnie pas à la poilce.

Un responsable de la Compagnie, lui aussi talkie-walkie à la main, pensant sans doute se débarrasser de cette affaire avant le départ du Président de la République pour sa visite au Maroc, tenta sa chance :

-- Bon, on mettra à votre disposition un car.

-- Mais qu’est-ce qu’il nous prouve que c’est vrai ?

-- Je suis dans mon bureau, vous pouvez venir me voir…

Et profitant du silence des passagers, il enchaina:

-- Descendez, nous vous paierons le petit déjeuner au Self-service puis nous contacterons un transporteur pour le car ; sinon…

Les « têtes dures » se dévisagent, s’observent, cèdent.

Tout le monde prit comme promis son petit déjeuner. On se murmurait : «  Il ne faut pas se disperser ; il faut rester ensemble ».

Neuf heures. Rien. « Ils nous ont roulés, pensai-je ». Nous nous regroupâmes dans la salle d’attente. Les visages fanés par la fatigue, ne pouvaient plus dissimuler cette expression où se mêlaient impuissance, dégoût et énervement. Le désespoir prenait petit à petit du terrain en nous. Chacun se vantait d’avoir les moyens pour partir chez lui mais ne restait avec le group que par solidarité.

Les responsables de la Compagnie, l’air soucieux, vinrent nous rassurer :

-- Vous avez votre car, il est ici, mais nous avons maintenant un problème de chauffeur…

On attendit.

On ne pouvait plus attendre. Deux éléments du groupe allèrent se plaindre au Ministre qui était sur les lieux pour préparer le départ du Président et trouver une solution à la grève. Ils revinrent peu après et nous informèrent que le Ministre leur avait répondu qu’il y aurait peut être des vols à…seize heures ; qu’il ne pouvait rien faire pour nous pour le moment.

Nous quittâmes alors la salle d’attente et nous nous dirigeâmes vers la piste. Les agents de l’ordre ne tardèrent pas à intervenir pour nous en chasser. Gentiment. Tout le monde retourna à la salle d’attente. J’en profitai pour aller téléphoner. La chaine ; le regard meurtrier de celui qui attend son tour ; le niet à l’autre bout du fil.

Le  soleil, dépourvu  du vent glacial du dehors, s’infiltrait à travers l’immense vitre de la salle et m’offrait ses rayons comme des seins qu’absorbaient voluptueusement mes os profondément pénétrés par le froid de la veille.

Une autre tentative d’occuper la piste échoua mais déchaina une dispute entre un passager et un agent de l’ordre. Le commissaire qui était monté le matin dans l’avion arriva. On lui rappela sa promesse, il demanda au groupe de patienter encore.

Onze heures. Le véhicule est là. Quelle joie ! Il ne ressemblait pas à ceux qui sillonnaient interminablement les pistes de l’aéroport et qui semblaient domestiqués. Notre autocar est plein de sièges veloutés, et sur les cotés, étaient accrochés des rideaux où se mêlaient les couleurs de la patience, de la souffrance et de l’entêtement.

Nous montâmes, l’un après l’autre, sans bousculade. Chacun tenait à donner une belle image du groupe. El-Hadja, qui avait enduré avec nous toutes les souffrances, oubliant qu’elle avait encore près de sept heures de voyage par route, lança du plus profond de son être un you-you strident qui fit retourner et étonner tout l’alentour. Car nul n’espérait une expression de joie.

Tous le monde était gai ; Il n y avait pas de perdant. Apaisés, comblés, nous ne pouvions dissimuler notre satisfaction…La même satisfaction se lisait sur les visages des responsables de la Compagnie, des agents de l’ordre, et d’autres…

Rien n’expliquerait cette béatitude générale si on s’était permis d’exclure la fièvre tenace d’entamer une ère nouvelle dans le pays.

Nous arrivâmes à dix-neuf heures à Oran. En cours de route un passager était descendu du car, nous avait acheté deux morceaux de zlabia. Ils furent partagés entre les quarante-trois passagers. La part de chacun dépassait de très peu la grandeur d’un maigre ver de terre.

Fin.        

 

Partager cet article
Repost0
10 janvier 2008 4 10 /01 /janvier /2008 00:00

Un enfant, le seul qui restait à bord, pleurait, toussait ; son père s’inquiétait. La femme médecin ausculta le petit garçon et demanda qu’on apporte la boite à pharmacie. On ne la trouva pas. Une autre femme descendit alors de l’avion et alla chercher des médicaments. Elle revint peu après bredouille.
La maladie de l’enfant fait revenir à bord l’intérimaire du chef d’escale et ses collaborateurs. Le commandant revint aussi mais seul ; le reste de l’équipage s’était certainement lassé de supporter l’obstination du singulier groupe.
Le moteur redémarra, l’intérieur de l’avion s’illumina et la climatisation fut activée. On demanda au commandant où était la boite à pharmacie.
-- Il n y a pas de boite à pharmacie, les autres l’ont emportée avec eux.
-- On n’emporte pas la boite à pharmacie quand on quitte l’avion, s’écria un passager.
-- Ne vous énervez pas, le calma un autre en ironisant, elle ne contient rien du tout, elle ressemble à celle d’un taxi.
Le commandant perdit tout d’un coup son sourire, son visage s’assombrit. Une dispute éclata entre lui et le passager qui se moquait. Ils arrivèrent aux mains, s’accrochèrent ; tout le monde était contre. Vite, on les sépara.
Une ambulance fut appelé, elle emmena la femme-médecin chercher les médicaments. Elle revint peu de temps après, nous informa qu’elle n’a rien trouvé à l’aéroport mais qu’elle s’est débrouillé quelque part de quoi calmer le mal de l’enfant.
Elle lui administra une injection qui vite l’endormit. Le calma se réimposa.
Le chef d’escale par intérim tenta encore de nous convaincre mais en vain. Les passagers lui exigèrent cette fois un autocar pour les transporter directement chez-eux. Il s’en alla pour ne plus revenir.
Le commandant de bord, fort sympathique, ressurgit. Il avait retrouvé son sourire habituel. Il semblait déjà regretter son emportement. Il s’efforçait de s’en excuser mais pas ouvertement ; son orgueil paraissant l’empêcher.
Nous lui posions des questions sur le pilotage, sur la grève et notre inconfortable situation. Il nous répondait aisément. Il nous fit savoir encore une fois que nous perdions notre temps, et qu’il n y aura pas de vol le matin. Il nous expliqua aussi que s’il avait décollé sans l’avis du mécanicien il aurait risqué la perte de sa licence.
-- Et puis après ? Vous avez un bon métier, vous pouvez aller travailler à l’étranger, vous serez payé en devises.
-- Non ! Je ne suis pas un mercenaire ; l’argent n’est pas tout. J’aime vivre parmi les miens, au sein de ma famille et mes amis. J’aime mon pays ; je sais qu’il y a beaucoup de problèmes mais…
-- C’est du bluff, lança quelqu’un du fond de l’avion.
A une centaine de mètres de nous, un avion s’apprêtait à décoller. Il partait à Djeddah. Il avait une heure de retard. «  C’est à cause de vous, nous dit-on ».
-- Et pourquoi le service technique vient d’assister cet avion ?
-- Des passagers sont allés chercher le mécanicien chez lui, nous éclaira le commandant.
-- Ce mécanicien ne peut-il pas nous aider ?
-- C’est trop tard, je suis seul à bord, il n y pas d’équipage.
Le commandant ne put plus tenir. Il distribua les cinq couvertures qui se trouvaient dans l’appareil, montra à un passager ce qu’il y avait dans le réfrigérateur puis alla arrêter le moteur qui tournait encore avant de quitter l’avion. Définitivement. Il était trois heures du matin ; nous fûmes replongés dans l’obscurité. Le froid nous regagnait.  
Quelques passager rigolaient, racontaient des blagues qui élevaient, ça et là, des éclats de rire. D’autres dormaient profondément. Les deux policiers chargés de notre surveillance se blottissaient dans leurs sièges à l’arrière de l’avion.
Il commençait à faire très froid, je n’arrivais pas à fermer l’œil. J’attendais impatiemment le matin et la fin de cette drôle histoire.
L’aube. On retira du réfrigérateur les cinq bouteilles de limonade et deux citrons. Ce qu’il contenait. La boisson fut distribuée entre les passagers. Tous les passagers. Le serveur nous versait quelques gouttes au fond de nos verres. On se débrouilla peu après une bouteille de…café et quelque croissants ; le tout fut partagé de la même façon.
Je brulais de fumer une cigarette. Mais nous nous étions interdit de fumer par mesure de sécurité. Cette interdiction ne tint pas longtemps. Je fus ravi de constater que quelques passagers ne la respectaient plus ; je sortis alors mon paquet d’« Afras ». J’allumai une cigarette ; j’en tirai mes bouffées avec un plaisir inégalable. Et je sentis comme si la fumée me réchauffait de l’intérieur.
Le groupe perdit encore trois membres de son nombre. L’enfant malade, son père qui s’était excusé avant de partir, et la jeune fille qui la veille était devenue folle de rage. Il restait quarante trois passagers parmi lesquels la femme médecin, une vieille femme qu’on avait nommée « El-hadja », une jeune fille seule, entièrement indifférente, qui avait dormi toute la nuit sans broncher ; et l’épouse de l’homme aux belles moustaches.
Un mélange de solidarité, de sympathie, de confiance, régnait au sein du groupe. On agissait comme si on se connaissait depuis longtemps. Chacun trouvait une certaine assurance auprès des  autres, une certaine sécurité.
Sept heures et demie. Deux autobus-navettes, d’une largeur exagérée, confortant leur laideur, stationnèrent près de l’avion. Une armée d’agents de l’ordre en descendirent, les uns en uniformes, d’autres en tenues civiles, talkies-walkies à la main. L’avion fut envahi.
A suivre…

Partager cet article
Repost0
9 janvier 2008 3 09 /01 /janvier /2008 00:00

-- Mais où allons-nous alors ? Il fait nuit, il y a des enfants, des femmes, des vieillards…Ici nous sommes au moins à l’abri du froid et de l’insécurité.
-- Vous devez descendre ; occuper l’avion n’est pas une solution.
-- Nous ne l’occupons pas ; vous nous aviez donné les billets d’accès ; vous nous aviez fait monter à bord et maintenant vous nous dites que le vol est annulé.
-- Que voulez-vous qu’on vous fasse alors ?
--…Nous chercher où passer la nuit ; un hôtel.
Le chef d’escale par intérim se retourna vers le commandant de bord, lui adressa quelques paroles, parla aussi à ses propres collaborateurs qui l’avaient rejoint, puis annonça :
-- Bien, on va téléphoner pour vous réserver des chambres.
Et il sortit.
Le commandant de bord prit la relève ; des questions, des réponses ; comme s’il donnait une conférence de presse. Il était toujours souriant. « Comme il est patient ! l’admirai-je. Sans cette patience, ne pus-je m’empêcher de penser, il ne serait pas devenu commandant ».
Quelques passagers, dont deux femmes, s’étaient distingués du groupe. C’est eux qui menaient les négociations. Un homme blond, les moustaches ornant bellement ses lèvres, accompagné de sa femme, criait plus que tous les autres. Son épouse l’épaulait. Une autre femme, médecin, l’esprit aiguisé par la précision et la rigueur, nous défendait ardemment. « Chapeau pour les femmes, murmurai-je en me reprochant mon silence». La voix d’une jeune fille ne dépassant pas les dix-sept ans s’éleva. Très énervée, la fille cria jusqu’à en pleurer ; elle traita tout le monde de tous les noms. Elle accusa de lâcheté ceux qui descendaient de l’avion. Un militaire se plaignait de perdre une partie de sa permission dans cette interminable attente. Un vieux couple qui revenait de la Mecque jugea et condamna à la pendaison immédiate les responsables de cette situation.
Peu après, le vieil homme ordonna à sa femme de quitter l’avion ; il en avait assez. Des voix s’élevèrent :
-- El-Hadja ! El-Hadja ! Dites au vieux de rester !
Elle répliqua froidement :
-- Je ne suis pas de ces femmes d’aujourd’hui qui commandent leurs maris.
«  Les femmes d’aujourd’hui », touchées par ses propos, furieuses, lancèrent :
-- Nous aussi, nous ne commandons pas nos maris, vous faites erreur !
Elles avaient ôté à la vieille femme son titre « El-Hadja ».
Après le départ de ce couple, je comptai les têtes qui restaient ; plus d’une quarantaine. Ça allait faire durer « l’occupation ». On avait désigné deux agents de l’ordre pour nous surveiller.
Minuit. Une voiture stationna près de l’avion. C’était le chef d’escale par intérim qui revenait.
-- Silence ! On s’est arrangé pour vous restaurer et héberger cette nuit à l’hôtel El-Manar.
-- A l’hôtel El-Manar ?
-- Oui.
-- Cet hôtel est situé loin d’Alger-Centre, et le prix d’un taxi est de cent cinquante dinars ; comment allons-nous faire pour retourner demain à l’aéroport ?
-- Vous resterez là-bas jusqu’à nouvel ordre.
-- Jusqu’à nouvel ordre ? Et si ça dure une semaine ?
-- Je vous ai dit qu’on va vous prendre en charge ; il y a un autocar qui va vous transporter maintenant puis vous ramener demain.           
C’était trop beau pour être vrai. Trouver plus de quarante places dans un hôtel aux alentours d’Alger, en une heure si tardive, frôlait l’impossible.
-- Et qu’est-ce qui nous garantit que c’est vrai ? Qui nous dit que vous ne voulez pas nous faire descendre de l’avion et nous exposer aux forces de l’ordre qui nous obligeront d’évacuer la piste ?
-- Je vous donne ma parole !
-- Il nous a donné sa parole, intervint un jeune homme en se préparant à quitter l’avion, on doit maintenant descendre.
-- Nous ne descendons pas ! Nous ne croyons pas à sa parole ! Nous exigeons un écrit !
-- Un écrit ! s’exclama l’intérimaire ; mais vous exagérez. Vous aviez demandé qu’on vous héberge ; on vous a trouvé des chambres, et vous vous entêtez à rester dans l’avion ; tant pis pour vous !
L’intérimaire du chef d’escale, désespéré, s’en alla. Le commandant de bord reprit la relève.
-- Je vous informe qu’il n y aura aucun vol demain. Aucun avion de la Compagnie ne décollera de cet aéroport. Vous n’aboutirez à rien en restant ici. Au contraire, vous courrez de gros risques ; une simple  étincelle peut causer un incendie. Vous savez qu’il y a un moteur qui tourne ; si vous ne descendez pas, je l’arrêterai, éteindrai les lumières et m’en irai.
-- Vous ne pouvez pas vous en aller, vous êtes responsable de l’avion tant que nous sommes ici.
-- Non, vous vous trompez, je ne suis pas responsable quand l’avion est au sol, c’est le chef d’escale qui est…
-- Non ! C’est vous !
-- Non ! Ce n’est pas moi !
-- D’ailleurs on commence à douter que vous êtes complice avec ce mécanicien qui avait refusé de donner le feu vert pour le décollage.
-- Pas du tout, vous pouvez le lui demander de vous-mêmes, il et là, dehors.
Le mécanicien monta à bord.
-- C’est vous le mécanicien ?
-- Oui, c’est moi.
-- Et pourquoi avez-vous fait ça ?
-- je revendique mes droits.
-- Vos droits ? Mais vous nous bloquez ; il y a des familles qui nous attendent ; il y a ici des gens qui ne supportent pas ces conditions. Ce n’est pas une façon de revendiquer vos droits.
-- J’ai le droit de faire la grève !
-- Vous n’avez pas le droit !
-- N’avez-vous pas lu la constitution ?
-- C’est un projet de constitution qu’on n’a pas encore voté.
Quelques passagers tentaient d’apitoyer le mécanicien :
-- Nous vous prions de faire votre travail pour que nous puissions rentrer chez-nous. Nous prions Dieu pour que se résolvent tous vos problèmes.
-- Non ! répondit sèchement le mécanicien en quittant l’avion.
Le commandant de bord, toujours souriant, revint à la charge.
-- Je regrette, mais je suis obligé de stopper le moteur et partir ; vous allez mourir de froid.
Il ne mentait pas ; le moteur fut arrêté. Le commandant et ses subordonnés quittèrent l’appareil. Nous restâmes dans le noir. Un froid d’acier commençait à nous geler les pieds.
 A suivre…

Partager cet article
Repost0
8 janvier 2008 2 08 /01 /janvier /2008 00:00

Le sept février 1989, dix-huit heures. L’avion devait s’envoler sur Oran à vingt heures. Les rumeurs qui circulaient à l’Aéroport Houari Boumediène me firent croire un moment qu’aucun avion ne partirait.
« C’est faux ! me dis-je, voilà qu’on place la plaque pour le départ sur Constantine ». Les voyageurs en partance vers cette ville se ruèrent comme d’habitude sur le guichet pour retirer leurs billets d’accès. « C’est faux ! Voilà qu’on place la plaque de Ouargla». La scène se répéta. Comme d’habitude.
Je fus donc réconforté, malgré qu’on avait écrit à la craie sur un tableau qui me rappela l’école, qu’il y aurait des retards « indéterminés » pour les prochains vols.
Je me consolais : « On partira tous ; on ne peut pas laisser les gens passer la nuit dans une salle d’attente. C’est insensé. »
Je sortis alors mon « Horizons ». Je lis les blagues, le proverbe du jour, les messages gratuits, les lettres des lecteurs. Je parcourus ensuite le supplément réservé au projet de la nouvelle Constitution. J’y trouvais du nouveau. Du positif. Je fus tout espoir. Je refermai le journal et le refourrai dans mon sac.
Je me levai pour aller prendre un café. La boisson ressemblait à tout sauf à du café. Cela ne m’étonna nullement ni me chagrina. L’habitude de se faire avoir tout le temps s’avéra utile et nourrît ma patience.
La plaque d’Oran. Je courus au guichet. J’étais le premier à présenter mon billet à l’employé ; du jamais-vu pour moi qui suis habitué au fond des classes et à la queue des queues. Mais je ne fus pas servi le premier. Ils étaient là, les autres, comme s’ils tombaient du ciel. La bousculade, comme d’habitude. Enfin, tout le monde est servi.
On entra dans la salle d’attente. Le mot « attente » y jouissait de son plein sens. Il en déborde.
Vingt heures, le moment du départ. On était encore là. L’avion allait faire du retard. Comme d’habitude. Et comme d’habitude, chacun devait trouver de quoi passer le temps. Le tuer. Je ressortis mon journal, relis cette fois plus lentement le projet de la Constitution.
Vingt heures et demie. Rien. Je commençais à observer les autres passagers. Il y avait des jeunes, des vieux, des couples, des enfants, des femmes seules. Il y avait des gens qui draguaient, comme d’habitude. Je prêtai l’oreille pour écouter de quoi parler ceux qui étaient à mes cotés. Rien d’important. J’allais oublier! Il y avait aussi une équipe de sport qui devait disputer un match à Oran.
Il me vint à l’idée d’aller téléphoner à ma famille. Beaucoup de gens faisaient la chaine devant la cabine. Comme d’habitude. J’y ajoutai un chainon. Et vint mon tour ; je composai plusieurs fois le numéro mais personne ne répond à l’autre bout du fil. Je tentai d’essayer encore une fois mais me ressaisis, car en me retournant, je m’étais heurté à des dizaines d’yeux qui me dévoraient, l’énervement et le reproche en jaillissaient à flots. Je cédai alors la place.
Vingt-deux heures. On fut appelé à embarquer. Ouf ! Enfin !
On s’installa dans l’avion. J’avais choisi un siège près des hublots ; j’aime voir du ciel les villes scintiller la nuit.
L’avion s’attarda, se transforma en une autre salle d’attente. Le doute et l’inquiétude commençaient à planer sur les visages des passagers.
Vingt-deux heures et demie. On nous annonça froidement : « Nous avons le regret de vous informer que le vol est annulé ».
Ça tombe comme un couperet sur nos têtes. Les passagers crièrent tout haut leur mécontentement.
-- Ce n’est pas possible !
-- Mais où allons-nous maintenant ?
-- Pourquoi nous-a-t-on pas averti à l’avance ?
-- On ne descend pas de l’avion !
-- On ne descend pas de l’avion !
Cette décision acquit la majorité.
Avant l’annulation du vol, j’avais fait, comme d’habitude, mes calculs : « Je serai à l’aéroport d’Oran à vingt-deux heures cinquante, je prendrai un taxi à soixante dinars, et me voilà chez-moi. Peu importe si la Société refuse de me rembourser les frais de taxi faute de pièces justificatives ».
Mais tout avait changé, et mon calculé était à refaire : « Voyons ! Où pourrai-je aller ? A l’hôtel ? Je ne trouverai pas de chambre à cette heure-ci. Prendre le train ? Il est déjà parti. Prendre un taxi ? Je n’ai pas assez d’argent. Retourner à la salle d’attente ? Il y fait très froid». Je préférai ne rien faire.
Les deux européens qui se trouvaient à bord, non habitués à ce genre de situation, gueulèrent jusqu’à ce qu’ils se lassèrent, puis quittèrent l’avion ; ils furent suivis par l’équipe de sport. D’autres passagers descendirent. L’avion se vidait.
L’avion s’arrêta de se vider. Un peu plus d’une cinquantaine de « têtes dures » ne bougèrent pas de leurs sièges. J’en faisais partie. Je ne restais pas par solidarité ; je n’avais pas le choix. Je n’avais pas prononcé un mot depuis le début ; j’observais sans intervenir.
Le commandant de bord et ses subordonnés apparurent.
-- Vous êtes en train de perdre votre temps, dit le commandant, l’avion ne décollera pas.
-- Mais pourquoi ? intervinrent plusieurs voix.
-- Le service technique refuse de nous assister pour le décollage.
-- Vous êtes le commandant, vous pouvez faire quelque chose pour nous.
-- Au sol, ce n’est pas moi qui suis responsable.
-- Qui en est responsable alors ?
-- Le chef d’escale.
-- Ne peut-il pas venir nous parler ?
-- Il n’est pas ici ; voilà son intérimaire qui arrive.
L’intérimaire monte dans l’avion, l’air grave :
-- Nous vous prions de descendre, l’avion ne partira pas.
 
A suivre….

Partager cet article
Repost0
29 décembre 2007 6 29 /12 /décembre /2007 00:00

-- Et pourquoi avez-vous fait tout cela ?
-- Pour me purifier.
-- Vous purifier ? Vous purifier de quoi ?
-- Des séquelles du mal qui entachaient mon âme. Les gens de l’au-delà m’avait repoussé car je portais encore en mon abîme les traces de la souffrance. Les frustrations et les offenses endurées demeuraient déchirures incicatrisables, tellement profondes que mon âme, incapable de les supporter, eut besoin d’une nouvelle peau terrestre qui étonna les morts par la noirceur et la ténacité de ses tatouages forcés. Maintenant, je m’en suis débarrassée, j’ai replacé les endurances qui me torturaient dans les consciences qui leur avaient donné naissance.  
-- Ne croyez-vous pas que vous avez fait trop de mal en agissant de la sorte ?
-- Qu’y a-t-il de mal d’ôter de mes pieds des épines douloureuses et les enfoncer dans leurs branches mères ? Ne puis-je pas ainsi m’avancer sans boiter à travers les champs parsemés d’âmes n’exhalant que pureté ?
Abdelhakim ne sait que répondre. Il a tout compris. Il pense maintenant à son propre sort. En allongeant la discussion, il espérait le passage de quelque chasseur qui le sauverait. Personne ne vint. Va-t-il courir le même risque que les autres ? Comment le fantôme parviendra-t-il à le convaincre à se suicider. Il n’a pas été un tyran dans la vie. Il ne regrette aucun acte commis à tort. Aucun remords ne le ronge. Et puis Yatim s’est bien vengé des gens qui lui avaient fait du mal. Est-ce que les fantômes n’aiment pas laisser des traces pour demeurer… fantômes ?
-- Et moi ? Que va-t-il m’arriver ?
-- Vous allez exactement faire ce que je te demanderai.
-- J’exécuterai tous vos ordres.
-- Tenez ! Prenez le fusil !
Abdelhakim saute sur l’arme avec une joie qu’il se garde de simuler.
-- Placez le canon sur ton ventre !
Il obéit.
-- Mettez l’index sur la détente mais ne tirez pas, il faut que je vous parle avant que…
Abdelhakim ne l’écoute plus. Il fait semblant de l’obéir. « Il veut me faire le même coup que les autres mais ça ne marchera pas. Je suis lucide et il n’a aucune raison de m’inviter à le rejoindre. C’est lui qui doit me rejoindre, je vais le capturer et l’emmener au village ; je serai accueilli en héros ; mon nom sera gravé à jamais dans les mémoires. Je serai une légende que les enfants se plairont à lire dans leurs livres d’aventures…».
-- Hé ! Vous ne m’écoutez pas ?
-- Non ! Et je ne vous écouterai pas, réplique le Cheikh, en pointant son arme sur Yatim ; si vous faites le moindre geste je tire !
Yatim esquisse un sourire.
-- Que vous êtes bête, Cheikh ! Mais je suis déjà mort. Et je savais que vous n’alliez pas subir le même sort que les autres, nul ne peut dominer la conscience d’un homme libre et juste.
-- N’essayez surtout pas de me tromper avec vos belles paroles ; je vous ordonne de vous retourner et avancer !
-- Et si je refuse ?
-- Je tire !
-- Tirez alors !
Abdelhakim hésite. « Ça n’ôtera rien à mon exploit si je le tue ».
-- Tirez alors, Cheikh ! Mon désir maintenant et de mourir définitivement, je ne reviendrai plus !
Il hésite encore, mais Yatim le supplie :
-- Tirez Cheikh ! Tirez !
Abdelhakim n’est plus en mesure de s’empêcher de presser la détente. Et le coup part. Le vieillard sursaute. Il fait déjà jour…
-- Jette ton arme et rends-toi ! Tu es encerclé ! lui lance le chef des gendarmes.
Abdelhakim se frotte les yeux ; il croit que c’est le commencement d’un autre cauchemar. Non. Les gendarmes sont bien là, mitraillettes au poing. L’étau se resserre sur lui, se resserre ; il laisse son arme tomber et baisse la tête.
-- C’est donc toi qui sèmes la terreur dans la forêt !
Il ne répond pas. Il n’est pas prêt pour se défendre. Il se laisse ligoter, insulté, traité de tous les noms. Il se préoccupe en ce moment à mettre de l’ordre dans ses idées. Il lâche dans un soupir :
-- Mon Dieu, que c’est difficile à expliquer ? Il est plus facile de convaincre les gens de l’au-delà que ceux d’ici bas…
 
 Fin

Partager cet article
Repost0
28 décembre 2007 5 28 /12 /décembre /2007 00:00

-- Vous êtes venu me chercher ? lui demande Yatim, ironisant.
Abdelhakim réplique en essayant de dissimuler sa crainte :
-- Non, je suis venu chercher la vérité.
-- Vous l’avez trouvée, malheureusement vous ne pourrez pas la transmettre aux autres.
-- Pourquoi ?
-- Pour le faire, il faut que vous reveniez au village et je m’en doute…
-- Tant que ce n’est pas une certitude, il y a toujours un espoir.
-- Ce qui me plait en vous Cheikh est que vous savez bien vous défendre.
-- Vous savez bien que je n’ai rien fait de mal, rendez-moi mon arme et laissez-moi partir.
-- Partir où ? Il y a plusieurs façons de partir.
-- Voulez-vous dire que vous allez me tuer ?
-- Non ! Je n’ai jamais tué personne mais ça ne veut pas dire que vous n’allez pas mourir.
-- Qui va me tuer donc ?
-- Vous-même.
-- vais-je me suicider ?
-- Oui, comme tous les autres.
-- Les autres, c’est vous qui les avez tués.
-- Ne vous-ai-je pas dît que je n’ai tué personne ?
-- Vous avez assisté à leur mort alors ?
-- Oui ! Ma mère était venue la première me rendre visite. Elle s’agenouilla près de ma tombe et implora mon pardon. Je m’étais tu pour la laisser se vider de son chagrin mais je tenais que les remords demeurent en elle éternellement. C’était mes redoutables armes. Au moment où elle me quittait je sortis de ma tombe pour n’y revenir qu’avec une âme en paix. Je me mis à marcher à coté de ma mère ; elle ne me voyait pas mais pouvait m’entendre. «  Mère, lui ai-je-dit, comment puis-je te pardonner ? Tu ne m’avais jamais aimé ; tu as été la cause de la mort de mon père ; la cause de ma folie, la source de toutes mes souffrances. Comment puis-je te pardonner ? Je n’oublierai jamais les propos que tu échangeais avec cet étranger alors que je n’avais que six ans ; il était le chef qu’on disait respectable du groupe donc faisait partie mon père ; tu te souviens ? La guerre faisait rage, tu cachais l’étranger dans ton lit et tu envoyais mon père monter la garde ; Tu te souviens ? J’encaissais, je ne te reprochais rien, je croyais toujours que les adultes étaient plus sages et ne pensaient qu’à notre bien, nous les enfants. J’ai cessé de le croire le jour où vous vous mettiez d’accord, toi et cet homme, pour envoyer mon père à une bataille désespérée. Je vous entendis vous réjouir après sa mort. Le ton du you-you que tu lançais pour exprimer ta joie d’avoir donné à la patrie ton mari en martyr, sonnait l’hypocrisie, la tromperie et la traitrise. Et souviens- toi, mère : tu m’obligeas, quelques temps après, à appeler « papa », cet homme qui n’était même pas de nos environs. Je refusai. Vous m’avez chassé, toi et cet individu qui devint peu après ton mari, de la maison que père avait bâtie de ses propres mains. Vous vous étiez empressés de vous débarrasser de l’enfant « impoli » qui altérait la vie douce que vous comptiez mener. Mon regard pitoyable vous écœurait, vous y voyiez, comme dans un miroir, l’horrible image de votre crime. Te souviens-tu du jour où tu m’avais conduit chez ton frère, lui proposant de me garder chez lui. A jamais. Et ce n’est que plus tard que j’ai su pourquoi mon oncle me chérissait tant au début ; il changea subitement dès qu’il me déposséda de la terre que mon père m’avait léguée. Et je me retrouvai enfant de personne, vivant nulle part. La folie m’ouvra ses bras, m’accueillit, me soulagea de toutes les souffrances et me libéra de toutes les contraintes. Comment, mère, puis-je te pardonner ? Je n’ai même pas eu la chance de mourir ordinairement sur un lit. Ma dépouille fut ramassé dans la rue ; te souviens-tu ?»
 Yatim observe un long moment de silence, Abdelhakim intervient :
-- Et ensuite ?
-- Ma mère commença à pleurer ; elle se tournait vers tous les cotés pour me voir mais en vain, elle n’entendait que ma voix. Elle m’implora :
-- Pardonne-moi mon enfant ! C’est du passé, nous ne connaissions rien de la vie.
-- Je ne peux pas maman, répondis-je, me trouvant seul ici, les mauvais souvenirs me reviennent.
-- Je suis prête à tout sacrifier pour que tu me pardonnes.
-- Il existe bien un moyen, maman…
-- lequel ?
-- Viens me rejoindre, pour que nous rattrapions ensemble les jours perdus
-- Je te rejoindrai le jour de ma fin.
-- Mais tu peux précipiter ce jour, n’as-tu pas envie de me voir maintenant ?
-- Et comment puis-je le faire ?
-- Monte sur cet arbre !
-- Je fais tout ce que tu veux, gémit-elle, en m’obéissant aveuglément.
-- Choisis maintenant une branche bien solide !
-- en voilà une !
-- Attache un bout de la corde à la branche, et noue l’autre bout autour de ton cou !
Elle exécutait mes ordres sans hésitations :
-- Et après ?
-- Je suis là, en bas, il suffit de sauter, je t’accueillerai dans mes bras.
Et elle sauta.
Abdelhakim dont la curiosité lui a fait oublier sa propre situation, interroge Yatim :
-- Et les autres ?
-- C’était encore plus facile avec mon…beau-père ; car nous étions deux, moi et maman, à lui suggérer de se joindre à nous. Son fusil de chasse nous simplifia les choses. Quant à mon oncle, il a été sauvé par quelqu’un qui passait au moment où il traversait la frontière qui nous séparait. Il n’est pas réellement sauvé, lui aussi va trépasser dans quelques jours, il succombera à sa blessure. Si tu avais une seule chance de revenir là-bas, tu pourrais leur annoncer la nouvelle, tu leur ferais croire à ton pouvoir prémonitoire.
-- Comment avez-vous réussi à vous faire obéir ?
-- Facile ! Je réussissais à remonter à la surface de leurs consciences les remords qui y hibernaient.
   
   A suivre…

Partager cet article
Repost0