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16 décembre 2006 6 16 /12 /décembre /2006 00:03

 
 
Il commence à tonner au loin, il n’y a pas eu de gémissements de sa femme, Zina, la petite fille, est certainement occupée à entourer de soins le chardonneret qu’il lui a acheté la veille et qui reste encore muet. Il finira par chanter même dans sa cage. Sa femme lui reproche souvent de trop gâter leur fille. Il reconnaît sans l’avouer qu’elle a raison mais elle ne peut pas comprendre combien Zina lui est chère. Sa femme n’avait pas vécu comme lui la disparition de l’enfant dans un rêve. Il n’avait jamais autant pleuré avant la nuit où il a fait ce rêve. Il y voyait que Zina était morte subitement, sans donner auparavant un signe de fatigue, sans éprouver quelque mal. Elle était partie comme ça…comme il ne pouvait jamais l’imaginer. Ses parents, ses amis, ses collègues, venus lui présenter leurs condoléances, se détournaient pour dissimuler leur larmes, ne pouvant pas supporter de le voir si triste, si abîmé. Il n’arrêtait pas de sangloter, lui que tout le monde considérait comme un courageux et un grand consolateur. Il se voyait en train de faire un choix pour enterrer Zina. Il refusa de l’inhumer couverte d’un mince linceul, il savait combien elle craignait le froid. C’est pourquoi il lui choisît un épais cercueil en bois doux…la veille, pensait-il, elle était là, assise dans sa position habituelle ; il n’avait pas répondu à ses dernières questions. Sa poitrine se gonflait, un pleur le défonçait, il s’éclata dans un cri horrible…Sa femme le réveilla en lui donnant des coups de coude au flanc. Réveillé, il continua à pleurer. Il alla s’enquérir de Zina. Elle dormait, rêvait peut-être…il continua à pleurer, non de joie, il n’admettait pas que cela lui arrive même en rêve.
 

 Une autre vague de nuage plus basse passe ! Une pluie fine ! Et le revoilà !  Yatim repasse presque en courant cette fois, trempé mais ne paraissant pas s’en soucier. Il n’a pas de parapluie, ce qui touche Hamou comme un douloureux  reproche, une réprimande, une irresponsabilité. « Il y a des enfants, se console-t-il, qui n’aiment pas se servir des parapluies ». Lui, quand il était petit, ne s’en servait pas, il n’en avait pas ; il courait lorsqu’il pleuvait, il croyait même qu’il pouvait se faufiler entre les gouttes. L’enfant tourne le coin de la rue, disparaît. Hamou, immobile, rumine encore les effets du passage du garçon, ça sent le moisi des imprudences qui, commises à une étape de la vie, le rattrapent. Il doit bouger, changer d’endroit, regarder sous un autre angle le tableau qui ne cesse de se dessiner là-dessous; il se déplace à l’autre bout du balcon, ce mouvement remue son intérieur, lui fait revivre des souvenirs lointains: la jeune femme est là, le suppliant cette fois à l’aider à interrompre sa grossesse. Elle portait un vaste manteau, couleur de chocolat, avec de gros boutons portant le dessin d’une ancre, qui dissimulait mal la grosseur exagérée son ventre. Elle cherchait à sauver l’honneur de la famille…elle ne s’inquiétait pas pour sa personne. Elle n’existait plus. Même s’il avait les moyens de lui apporter cette aide il ne l’aurait pas fait, car il n’était pas certain qu’il était vraiment le père de l’enfant indésirable. Et puis, priver un être humain de naître, de vivre, parce qu’une case ne lui était pas réservée quelque part sur un registre d’état civil lui semblait inadmissible. C’est pourquoi il refusa toutes les propositions. Des amis venaient le réconforter, lui apporter qu’ils avaient plusieurs fois surpris son amie avec d’autres hommes dans des endroits douteux…Il était l’un de ceux-là. Il se souvient qu’il avait acheté alors des livres traitant de la fécondation afin d’arriver à déterminer par lui-même sa responsabilité ; il apprît certes beaucoup de choses sur le sujet mais n’arriva pas à une certitude sur son propre cas. Il finît par renoncer à ses recherches et s’abandonna au doute. Un doute que la jeune femme ancra en cessant de venir lui en reparler et en allant se débrouiller ailleurs un autre père pour son enfant. Est-ce le vrai ? L’essentiel est qu’il fut soulagé, allégé du poids qui le freinait, l’empêchait de penser à son avenir. Il n’avait pas encore atteint la quarantaine, et ses soucis écartés, il comptait réaliser tant de rêves ; il considéra, en ce moment-là, ce qui lui sembla une fin de son aventure comme un salut tombé en temps opportun. Et contrairement à tout le monde, il trouvait très courageux l’homme qui épousa la jeune fille. Qui la délivra. Qui le délivra.  Maintenant, il ne croit pas qu’il est vraiment sauvé. Il est prisonnier de sa conscience. C’est la pire des prisons. Il sent comme s’il avait laissé dans son passé une porte mal fermée et dont le grincement, bruit impitoyable et insensible à souffrance, produit à la moindre brise que le dernier des diables élève en remuant sa maudite aile, ne cesse de l’irriter. Peut-il avancer sans fermer à jamais cette porte ou l’arracher ?  Il pense que son enfant lui a été volé par un autre homme…Il corrige : «  j’ai abandonné mon enfant à un homme ». Et si quelqu’un gifle Yatim en sa présence ? Et s’il est renvoyé de l’école ? Et s’il a faim ? Et s’il tombe malade et qu’il a besoin d’aide ? Et s’il a froid la nuit ? Au fond, Hamou souffre quand il voit les autres affronter de pareilles difficultés ; comment pourrait-il supporter cela s’il s’agissait de son propre fils? Tans de questions l’assaillirent au moment où il rencontrait par pur hasard le jeune garçon, juste après son arrivée dans cette cité. Il lui parla, lui demanda des nouvelles de sa mère et de …son père. Il passa sa main sur la tête de l’enfant qui se rappela de lui. Un voisin qui passait s’arrêta net, fixa le gamin puis, l’air étonné, lança à Hamou : «  il ressemble étrangement à sa soeur ; la même dentition, le même nez, les même yeux». Il comprît que le voisin faisait allusion à Zina mais garda le silence. Il ne pouvait rien nier sans risquer de mentir. Après ce constat, son doute commençait déjà à fondre sous la tiédeur que produisait en lui son contact avec Yatim. Il se répétait : « Avoir une fille et un garçon…c’est l’idéal ». Il décida alors de tout faire pour s’en assurer, parvenir à faire de cet idéal une réalité. Il pensa à se rendre chez son ancienne amie puis renonça ; telle qu’il la connaît, elle saisirait cette opportunité pour se venger de lui ; elle lui dirait le contraire de ce qu’elle prétendait il y a douze ans, ou du moins l’enfoncerait encore dans le brouillard. Et comment oserait-elle frustrer l’homme, le vrai homme qui la sauva ; détruire le nid familial qu’elle avait réussi à construire contre vents et marées ? Le nid qui préserve son honneur et sa dignité bafoués autrefois par Hamou …

  A suivre...

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