Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
8 février 2007 4 08 /02 /février /2007 00:02

    
   Le patron de Saber lui a ordonné de nettoyer les abords du chantier du cadavre d’un chien qui vient d’être heurté par une voiture.
 
       Le corps est très lourd ; la mort l’avait pénétré de tout son poids, de toute sa rigidité et sa froideur. De toute son immobilité. Saber peine mais ne trouve où le jeter. Il n’a pas le courage de s’en débarrasser ici, au milieu de cette magnifique rue, à proximité de ses respectueuses villas. Il n’est pas sage de salir l’endroit. Des herbes paradisiaques s’agrippent péniblement aux murs des somptueuses constructions et propulsent, comme sous la menace d’une force invisible, des fleurs multicolores qui embaument les environs d’un parfum enivrant. Il n’est pas sage de salir l’endroit, ces herbes-là ont suffisamment de fumier…à la racine, et n’on aucunement besoin de l’ordure de Saber.
 
    Il continue à traîner la bête, indifférent aux regards curieux des passants. Deux jeunes filles surgissent en face de lui, s’avancent, le croisent mais non sans lui jeter dans un éclat de rire :
   - Un chien traînant un chien.
   - Sous les yeux de deux belles chiennes, se défend-il.
   - Tu oses nous insulter, s’emporte l’une d’elles, espèce de salop !
   - Au féminin on dit : salope, ironise Saber.
   - Vaut mieux aller mendier que de traîner des cadavres de…
   - …Et cela vaut mieux que faire le trottoir.
 
   La scène commence à leurrer les curieux. Une foule compacte se forme sur les lieux. Les jeunes, les beaux, les habillés à la mode, voire tous ceux dont l’intelligence s’alarme au moindre désordre et se consacre toute entière à veiller sur la manière de nouer sa cravate, de se donner du charme, de ramener à l’ordre la moindre gerbe de cheveux qui se rebelle ; tous ceux qui pourraient avoir une chance de plaire aux deux jeunes filles et les séduire, s’acharnent sur Saber. « C’est toi le fautif ». Les vieux, les laids, les dépassés par les évènements, les désespérés se rangent à ses côtés. Et se déclare une sorte de guerre entre les deux camps où chacun défend son propre intérêt. Son territoire. Les uns, tout espoir, ayant moyens et pouvoirs, désirent réaliser leurs rêves les plus fous. Les autres, auxquels la chance n’a jamais souri, semblent avoir l’ardent vouloir de tout détruire, tout gâter pour que tout le monde souffre la même soif.
 
  Saber se retire du combat. Car en réalité personne ne s’attaquait à lui, ni personne ne le défendait. Chacun avait trouvé en ce moment propice l’occasion de se vanter ou se vider. Saber n’était dans tout cela que la petite goutte qui fait déborder le vase, que l’étincelle ou se heurtent le feu et l’inflammable.
     Il arrive maintenant à l’entrée d’un quartier qui lui ressemble. Il trouve cet endroit idéal pour se débarrasser de son fardeau. Le dos de la terre est vulnérable, on peut y creuser sans se heurter à la pierre dure…Il lâche la bête dans le trou. Que pourrait-il faire d’autre ? Rien ne se vide sans que rien ne s’emplisse…
 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Y
Saber a fait ce qu'il fallait faire, les deux filles m'ont fait autant pitié que le chien, et la scène représente très bien la fracture sociale encore palpable dans certain de nos cartier. Merci pour ce moment de vérité.
Répondre
F
Merci de ta visite sur mon blog et de tes compliments, belle histoire bien tristeFrançoise
Répondre
K
Les va-nu-pieds et les chiens crevés on n'en veut pas chez nous !  <br />  
Répondre
K
Je suis du coté de Bachir parce qu'il écrit de belles histoires avec rien mais avec brio.A plus
Répondre
L
Je n'arrive pas à me placer parmi les deux camps. Peut-être suis-je comme Saber! Bien à toi, Bachir.
Répondre