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22 octobre 2007 1 22 /10 /octobre /2007 00:01

    
    Je ne suis pas un homme ? s’étonna Saber. « Non, répondit Satan, tu n’es pas un homme. Tu le seras aux yeux de tes admirateurs, ceux qui te font le clin d’œil complice au lendemain de chaque visite de Rachida, ceux qui, dissimulant mal leur jalousie, te demandent malicieusement si tu commences à prendre goût à la vie sans attendre de toi une franche réponse, te connaissant timide et peu bavard…tu le seras si tu réalises ce qu’ils pensent. Tu seras un homme si le désir qui provoque les vents aux horizons à se mouvoir pour conduire les grains gisants aux pieds de leurs plantes mères jaunies, à leurs rendez-vous amoureux pour se perpétuer, t’envahit. Tu supporteras à ce moment sans remords les reproches des gens de la mosquée. Tu n’auras pas tort de baisser les yeux en les croisant. Ne te traversera que le banal dégout d’un bagnard indifférent qui purge une peine qu’il juge méritée. Le bagnard, tu l’es maintenant, que tu le veuilles ou non. Tu es prisonnier de l’opinion que se font de toi les autres. Ne te retournes-tu pas quand quelqu’un prononce ton prénom ? Ta réaction est-elle bien pensée ? Non. Tu es obligé de réagir en entendant ton prénom. Et pourtant il n’est pas né avec toi comme une jambe ou un bras. Il ne t’appartient pas réellement. Ce n’est pas toi qui l’as choisi à ta naissance. Ce sont d’autres qui ont décidé de te nommer Saber et tu n’y peux rien changer. Tu ne peux bouger ni la pierre inaugurale de ta prison, qui a été placée à ta naissance, ni la tombale qui sera posée sur ta dernière demeure. Tu vois ? Tu es tenu par les deux bouts. Les deux extrêmes. Tu es tel qu’ils veulent que tu sois. Il est donc plus aisé pour toi d’œuvrer pour consolider ton image dans l’esprit des autres que de paraître sous le parfait visage que nul autre que toi-même ne reconnait.
 
     Tu es un homme pour les autres. Tu dois l’être pour toi-même. Tu dois te le prouver. Tu es maintenant dans une situation qui te permet de te jauger. Ne sens-tu rien ?
 Si. Il sentit que le désir grandissait, poussait en lui voluptueusement. Un désir auquel se cognaient les appels répétés de sa raison comme les tendres poings à l’indifférence d’une porte sourde.
 
     Saber se laissa entrainer dans une sorte de champ magnétique dont le noyau n’était que la femme qui attendait que soit prêt le café.
L’eau commença à bouillir. Il y mit une cuillerée de café et remua. Il remarqua que ses mains tremblaient.
 
    Cédant au vouloir de s’imposer comme homme capable de prouver sa vigueur, au désir d’authentifier ce que pensaient de lui les gens, Saber obéît à l’ordre de son instinct. Il se trouva comme contraint de quitter la cuisine et se diriger vers la pièce où était assise Rachida.
 
   Il la fixa en puisant dans ses tréfonds la force qui donnerait à son regard le sens que la plus bête des femmes devait comprendre. Rachida devina vite son intention, détourna les yeux pour se dérober aux siens, puis lui lança en faisant semblant de n’avoir rien remarqué :
-          Il est tard, il faut que je parte.
-         Tu pars ? s’étonna Saber, mais le café est presque prêt.
-         Ça ne fait rien, je le boirai une autre fois, dit-elle, en se levant.
Saber s’approche d’elle et lui demanda doucement :
-         pourquoi es-tu si pressée ?
-         la patronne va s’inquiéter
Il la tint par le bras, elle essaya de se dégager mais en vain.
-         Dis la vérité ! tu as peur de moi, hein ? tu n’as pas confiance en moi.
-         Lâche-moi Saber ! tu es devenu fou ou quoi ?
-         Si tu crois que je suis fou, permets-moi de cesser de l’être, la supplia-t-il, en lui lâchant le bras.
 
Elle courut à la porte mais Saber la devança et ferma à clé. Se voyant enfermée, elle retourna s’asseoir, s’enfouit le visage dans les mains et commença à sangloter.
 
 A suivre…

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