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28 décembre 2007 5 28 /12 /décembre /2007 00:00

-- Vous êtes venu me chercher ? lui demande Yatim, ironisant.
Abdelhakim réplique en essayant de dissimuler sa crainte :
-- Non, je suis venu chercher la vérité.
-- Vous l’avez trouvée, malheureusement vous ne pourrez pas la transmettre aux autres.
-- Pourquoi ?
-- Pour le faire, il faut que vous reveniez au village et je m’en doute…
-- Tant que ce n’est pas une certitude, il y a toujours un espoir.
-- Ce qui me plait en vous Cheikh est que vous savez bien vous défendre.
-- Vous savez bien que je n’ai rien fait de mal, rendez-moi mon arme et laissez-moi partir.
-- Partir où ? Il y a plusieurs façons de partir.
-- Voulez-vous dire que vous allez me tuer ?
-- Non ! Je n’ai jamais tué personne mais ça ne veut pas dire que vous n’allez pas mourir.
-- Qui va me tuer donc ?
-- Vous-même.
-- vais-je me suicider ?
-- Oui, comme tous les autres.
-- Les autres, c’est vous qui les avez tués.
-- Ne vous-ai-je pas dît que je n’ai tué personne ?
-- Vous avez assisté à leur mort alors ?
-- Oui ! Ma mère était venue la première me rendre visite. Elle s’agenouilla près de ma tombe et implora mon pardon. Je m’étais tu pour la laisser se vider de son chagrin mais je tenais que les remords demeurent en elle éternellement. C’était mes redoutables armes. Au moment où elle me quittait je sortis de ma tombe pour n’y revenir qu’avec une âme en paix. Je me mis à marcher à coté de ma mère ; elle ne me voyait pas mais pouvait m’entendre. «  Mère, lui ai-je-dit, comment puis-je te pardonner ? Tu ne m’avais jamais aimé ; tu as été la cause de la mort de mon père ; la cause de ma folie, la source de toutes mes souffrances. Comment puis-je te pardonner ? Je n’oublierai jamais les propos que tu échangeais avec cet étranger alors que je n’avais que six ans ; il était le chef qu’on disait respectable du groupe donc faisait partie mon père ; tu te souviens ? La guerre faisait rage, tu cachais l’étranger dans ton lit et tu envoyais mon père monter la garde ; Tu te souviens ? J’encaissais, je ne te reprochais rien, je croyais toujours que les adultes étaient plus sages et ne pensaient qu’à notre bien, nous les enfants. J’ai cessé de le croire le jour où vous vous mettiez d’accord, toi et cet homme, pour envoyer mon père à une bataille désespérée. Je vous entendis vous réjouir après sa mort. Le ton du you-you que tu lançais pour exprimer ta joie d’avoir donné à la patrie ton mari en martyr, sonnait l’hypocrisie, la tromperie et la traitrise. Et souviens- toi, mère : tu m’obligeas, quelques temps après, à appeler « papa », cet homme qui n’était même pas de nos environs. Je refusai. Vous m’avez chassé, toi et cet individu qui devint peu après ton mari, de la maison que père avait bâtie de ses propres mains. Vous vous étiez empressés de vous débarrasser de l’enfant « impoli » qui altérait la vie douce que vous comptiez mener. Mon regard pitoyable vous écœurait, vous y voyiez, comme dans un miroir, l’horrible image de votre crime. Te souviens-tu du jour où tu m’avais conduit chez ton frère, lui proposant de me garder chez lui. A jamais. Et ce n’est que plus tard que j’ai su pourquoi mon oncle me chérissait tant au début ; il changea subitement dès qu’il me déposséda de la terre que mon père m’avait léguée. Et je me retrouvai enfant de personne, vivant nulle part. La folie m’ouvra ses bras, m’accueillit, me soulagea de toutes les souffrances et me libéra de toutes les contraintes. Comment, mère, puis-je te pardonner ? Je n’ai même pas eu la chance de mourir ordinairement sur un lit. Ma dépouille fut ramassé dans la rue ; te souviens-tu ?»
 Yatim observe un long moment de silence, Abdelhakim intervient :
-- Et ensuite ?
-- Ma mère commença à pleurer ; elle se tournait vers tous les cotés pour me voir mais en vain, elle n’entendait que ma voix. Elle m’implora :
-- Pardonne-moi mon enfant ! C’est du passé, nous ne connaissions rien de la vie.
-- Je ne peux pas maman, répondis-je, me trouvant seul ici, les mauvais souvenirs me reviennent.
-- Je suis prête à tout sacrifier pour que tu me pardonnes.
-- Il existe bien un moyen, maman…
-- lequel ?
-- Viens me rejoindre, pour que nous rattrapions ensemble les jours perdus
-- Je te rejoindrai le jour de ma fin.
-- Mais tu peux précipiter ce jour, n’as-tu pas envie de me voir maintenant ?
-- Et comment puis-je le faire ?
-- Monte sur cet arbre !
-- Je fais tout ce que tu veux, gémit-elle, en m’obéissant aveuglément.
-- Choisis maintenant une branche bien solide !
-- en voilà une !
-- Attache un bout de la corde à la branche, et noue l’autre bout autour de ton cou !
Elle exécutait mes ordres sans hésitations :
-- Et après ?
-- Je suis là, en bas, il suffit de sauter, je t’accueillerai dans mes bras.
Et elle sauta.
Abdelhakim dont la curiosité lui a fait oublier sa propre situation, interroge Yatim :
-- Et les autres ?
-- C’était encore plus facile avec mon…beau-père ; car nous étions deux, moi et maman, à lui suggérer de se joindre à nous. Son fusil de chasse nous simplifia les choses. Quant à mon oncle, il a été sauvé par quelqu’un qui passait au moment où il traversait la frontière qui nous séparait. Il n’est pas réellement sauvé, lui aussi va trépasser dans quelques jours, il succombera à sa blessure. Si tu avais une seule chance de revenir là-bas, tu pourrais leur annoncer la nouvelle, tu leur ferais croire à ton pouvoir prémonitoire.
-- Comment avez-vous réussi à vous faire obéir ?
-- Facile ! Je réussissais à remonter à la surface de leurs consciences les remords qui y hibernaient.
   
   A suivre…

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27 décembre 2007 4 27 /12 /décembre /2007 00:00

-- Si ! Il y a une relation, voyons ! Vous étiez assis dans un coin, seul dans la nuit. Vous pensiez à quelque chose. Vous aviez à l’idée sans doute les personnes qui sont mortes dans la forêt ces derniers jours. Vous les connaissez ; vous vous demandiez qui pourrait être l’assassin. Seul un fou oserait commettre de tels crimes. Et le seul fou du village était Yatim. Il ne parlait à personne, il passait les dernières semaines qui précédèrent sa mort au cimetière ; comme pour préparer sa dernière demeure. Comme s’il voulait hâter sa fin. Ordinairement la folie est libératrice : alors, il aurait été certainement atteint par l’impitoyable cruauté d’un un bref moment de lucidité…Et puis tout le village sait que les victimes étaient des parents de Yatim. La femme était sa mère, l’homme son- beau père, et le blessé son oncle maternel. Tous les habitants savaient que ces gens ont fait beaucoup souffrir leur enfant qui, tellement acculé, se refugia dans la folie. Mais nul n’admettait qu’il reviendrait de l’au-delà pour se venger. Vous ne l’admettiez pas mais croyiez fermement que justice serait fait. Mais comment ? Clac ! Vous courrez à votre piège pour prendre le gibier. Il n y était pas. Mais au lieu de penser qu’un animal aurait effleuré le piège causant son déclic sans se faire prendre, tu eus une hallucination comme explication, résultant de ton tenace vouloir de connaitre la vérité. Ta personne était dans un état apte à voir Yatim vivant et même l’entendre te parler…C’est la seule interprétation que je peux te donner.
-- Merci Cheikh, dit Said en se levant, je m’excuse de vous avoir dérangé, je dois rentrer maintenant.
-- N’y repensez plus ! Et sache que tout qui ne laisse pas de trace n’existe pas.
En sortant, Said se retourne et lance au Cheikh :
-- Je crois que je n’ai à aucun moment pensé à Yatim, juste avant le curieux évènement.
-- Et comment pouvez-vous vous rappeler, vous étiez bouleversé.
-- Peut-être ! dit Said, en quittant le Cheikh
 
 Minuit. Après une dernière hésitation, il prend son fusil, le dissimule sous sa djellaba et se dirige vers la forêt. Il doit prendre toutes ses précautions pour que personne ne puisse le voir. Ainsi, au cas où il se trouve contraint de se servir de son arme, nul ne pourra témoigner contre lui.
Il a rarement utilisé son fusil. Il n’aime pas la chasse car il lui a toujours semblé qu’en tuant le plus méchant des animaux il chasse une âme d’un corps. Il la met à nu. Il a juré quand il l’avait acheté de ne s’en servir que pour se défendre. Et ce serait peut-être le cas aujourd’hui. Cela dépendrait du comportement du fantôme.
Quand Said, le chasseur, était venu lui parler du revenant, il y a une semaine, Cheikh Abdelhakim avait la certitude qu’il ne s’agissait que d’une pure hallucination. Maintenant le doute le gagne de plus en plus ; beaucoup de gens en parlent, jurent d’avoir vu Yatim. Abdelhakim a horreur de vivre dans le doute. C’est pourquoi il a décidé de vérifier par lui-même la véracité des dires. Il avait laissé le temps aux autorités d’agir ; les résultats de leurs recherches furent vains ; l’espoir d’élucider le mystère s’amenuisait, la peur et l’angoisse s’installèrent aux alentours.
Avant de pénétrer dans la forêt, Abdelhakim jette un ultime regard sur le village. Tout y semble calme, paisible, mais terne. Une expression de crainte et d’inquiétude s’en dégage. Il repousse cette sorte d’adieu qui voulait s’exprimer et s’enfonce dans les broussailles. A cet instant commence l’exécution de son plan de recherche. Il doit trouver des réponses à toutes les questions qui se posent. Qui s’imposent.
Si Yatim a été vu en différent endroits et par plusieurs personnes il est donc vivant ; à condition que les témoignages soient sincères, ce qui est invérifiable. Abdelhakim se dirige tout d’abord vers le cimetière qui longe la forêt. Arrivé près de la tombe de Yatim, il s’agenouille et l’observe. Rien d’anormal. Il sait que ce qu’il fait est absurde mais il tient à passer par cette étape. Il espère trouver une trace pour le guider sur les pas du fantôme.
Il retourne à la forêt. « C’est certainement quelqu’un qui ressemble à Yatim qui sème la terreur. Mais qui ? ». Son esprit s’égare dans un labyrinthe d’hypothèses frôlant l’insensé. « Si seulement je le vois comme les autres ». Un arbre tremble brusquement, un frisson le parcourt, il se retourne rapidement vers le coté d’où venait le bruit, le doigt sur la détente. Ce n’était qu’un sombre oiseau qui venait de s’envoler.  Il l’entrevoit se confondre avec la couche du léger brouillard. Plus rien ! Le silence se réinstalle. 
Il s’adosse au tronc d’un arbre, un coin dont la tiédeur venait d’on ne sait où. «  De cet endroit je peux tout dominer, je ne bougerai pas d’ici jusqu’au matin ; et si rien ne se manifeste, tout ce qu’on raconte n’est que mensonge.     
Abdelhakim sursaute. Rien. Ce n’est pas la première fois que cela lui arrive. Il se réveille en sursaut chaque qu’il se surprend en train de s’endormir. Se servant de ce qui lui reste de force, il repousse l’idée de rentrer chez lui. Le goût de l’inachevé l’irriterait. «  Je ne m’endormirai pas, je ne m’endormirai pas ». En répétant cette expression, il ne se rend pas compte qu’il est en train de sombrer.
Il sent que quelque chose lui a effleuré la main. Il rouvre brusquement les yeux. Il ne peut faire aucun geste. Le tueur l’a déjà désarmé. Abdelhakim fixe son propre fusil de chasse retourné contre lui. Les deux méprisables trous du canon braqué sur sa poitrine sont prêts à cracher le feu. Il ne les a jamais regardés en face, sinon il aurait su combien ils ressemblent aux narines de la Mort. Impossible donc d’échapper la bête. Il lève les yeux lentement, désespérément. Il dévisage l’homme qui le cloue au tronc d’arbre. Il ressemble drôlement à Yatim. Mais c’est Yatim lui-même ! Tout se brouille dans la tête du vieil homme : son plan, ses calculs, ses hypothèses. Seules lui apparaissent nettes et claires, les visages des victimes de ce meurtrier dont il se retrouve présentement prisonnier.
  A suivre...

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25 décembre 2007 2 25 /12 /décembre /2007 00:00

-- Je suis là devant vous, Cheikh, dit Said en souriant ; ne me voyez vous pas ?
-- Vous voulez dire que vous existez ?
-- Oui bien sûr !
-- Pouvez-vous le prouver ?
-- Ha ! Ha ! Mais c’est évident !
-- Si c’est aussi facile à prouver, faites-le alors !
-- Eh bien ! J’existe parce que…parce que…mais voyons ! Vous le savez bien, vous !
-- Je réponds à votre place alors : Vous existez parce qu’il y a les gens de votre entourage qui te connaissent et portent votre image dans leurs mémoires. Vous existez parce que votre venue en ce monde s’est produite en présence de témoins, au moins celle de votre mère et des gens qui avaient entendu votre premier cri. Vous avez continué à exister…On constatait quelque temps après ta naissance que des jouets bougeaient de leur place, des biberons se vidaient, des bonbons se volatilisaient, le lit se salissait ; Qu’auraient pensé  vos parents s’ils avaient douté que l’auteur de ce désordre était un fantôme ? Ils se seraient affolés. Et ils ne s’étaient pas affolés. Ce n’était donc pas un fantôme qui causait tout cela. C’était vous. Vous laissiez des traces, vous existiez. Et j’ai la pleine conviction que vous continuez à exister en ce moment, car si on s’amuse à aller compter les baguettes de pain que le boulanger a tiré de son four ce matin, on constatera qu’il en manque le nombre que vous avez dans votre couffin. Le vide que vous venez de créer sur l’étalage de la boulangerie est votre trace. Demain, ce couffin sera certainement vidé ; le pain qu’il contient sera retiré par les mains de quelqu’un qui aura existé.  Vos actes répétés, vos manifestations ont fait de vous un être existant dans les esprits des autres. Vous cesserez de l’être au moment où ces autres ne voient plus trace de toi…
-- Mais je ne vous parlais pas de ma propre existence, je voulais seulement savoir si les fantômes existent.
-- Avez-vous la trace d’un fantôme ?
-- Sa trace…C’est dommage ! La pluie de ce matin l’aurait effacée.
-- Expliquez-vous, dit Abdelhakim, l’air curieux cette fois.
Said lui raconte ce qu’il avait vécu la veille.
Cheikh, amusé, nullement étonné par ce qu’il vient d’entendre, explique :
-- Il y a deux hypothèses : Ou bien Yatim est revenu à la vie, deux mois après sa mort ; ou bien c’était une hallucination.
-- Euh…
-- Y a-t-il dans l’Histoire un être humain qui est revenu après sa mort ?
-- Non, répond Said.
-- Croyez-vous que cela pourrait se produire ?
-- Non.
-- Alors ?
-- Ce n’était donc qu’une hallucination !
-- Oui ! C’était cela votre fantôme. Chacun de nous risque de rencontrer le sien…de cette façon. Mais les fantômes n’existent pas réellement ; notre imagination en conçoit au besoin. C’est comme un rêve.
-- Ce n’était pas un rêve, Cheikh, Yatim m’a parlé.
-- Je vous comprends, l’hallucination de situe à mi- chemin entre le rêve et la réalité. Je vais vous éclaircir un peu en te racontant une petite histoire que j’ai vécue moi-même : Quand j’étais jeune, je possédais une vieille voiture que je réparais tout le temps. Un jour, je me trouvais au dessous du véhicule en train de serrer un boulon rouillé, quand me vint à l’idée que le cric pourrait céder et je risquerais d’être écrasé par le châssis. La peur me gagna ; je jugeai alors que j’avais besoin de repos ; je me retirai et allai m’allonger à l’ombre d’un arbre. Je m’endormis peu après. Le cri strident d’une petite fille que son frère battait, me réveilla en sursaut. Je tremblais. Je me lançai à la poursuite des deux enfants pour les corriger mais en vain, ils s’étaient déjà enfouis…
-- Mais ça n’a rien à voir avec le sujet de notre discussion, remarque Said, en essayant de dissimuler sa déception.
-- Avant que je me réveille, enchaine Abdelhakim, j’avais fait un rêve.
-- Qu’est ce que vous avez vu ?
-- j’avais vu que le cric cédait peu à peu, le châssis de la voiture m’écrasait la poitrine, je me débattais pour me dégager…et le cri de la petite fille me réveilla.
-- Ah ! Elle vous sauva donc de votre cauchemar !
-- Mais non ! Vous n’avez rien compris ; c’était elle qui était la cause de mon cauchemar.
-- Franchement, je n’arrive pas à vous suivre…
-- Voyons comment les choses s’étaient passées : Je dormais paisiblement ; les deux enfants se trouvaient juste près de moi. Une dispute éclata entre eux. Le garçon se met à battre sa sœur. La petite fille commença à s’écrier. Ses cris étaient tellement agaçants qu’ils avaient failli me…crever les tympans ; si j’étais éveillé j’aurais réagi en bouchant les oreilles ou en empêchant l’enfant de crier. Je dormais cependant. Quand on s’endort on n’est pas mort. Il existe toujours une partie de nous-mêmes qui reste en éveil et surveille notre corps. Notre personne. Mais cette partie abstraite ne possède pas évidemment des mains pour nous secouer, ou une voix pour nous avertir au cas où l’individu endormi court quelque danger. Elle agit alors en invitant notre imagination à nous tisser, en une durée incroyablement courte, un rêve qui nous permet de corriger une position, d’apaiser une douleur, de modérer une joie, ou nous tirer complètement de notre sommeil pour affronter une quelconque situation. Notre imagination feuillette notre mémoire, cherche les  éléments susceptibles de constituer une histoire, plus au moins cohérente, qui répond au besoin. Dans mon cas, mon imagination alertée par la « chose » qui nous surveille, n’avait pas trop peiné. Sitôt les tympans crevés, elle trouva toute prête l’idée que je m’étais faite peu auparavant, quand je réparais ma voiture, et s’en servit pour me réveiller. Vous voyez ! Je ne rêvais pas que ma voiture m’écrasait avant l’arrivée de deux enfants ; et ce n’était pas leur dispute qui interrompit mon cauchemar. Au contraire, c’était le cri de la fille qui le déclencha…
-- j’ai bien saisi maintenant, mais je ne vois pas le rapport entre votre rêve et mon…fantôme.
A suivre…

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23 décembre 2007 7 23 /12 /décembre /2007 00:00

Haletant, Said introduit la clé dans la serrure, pousse la porte de la cour, dépose dans un coin son sac, puis se dirige doucement vers la chambre pour ne pas réveiller sa femme. Il se faufile dans le lit, et lâche un soupir comme pour marquer la fin d’un cauchemar. Il est maintenant hors de la portée du tueur. Il a récupéré la faculté de penser. Il doit mettre un peu d’ordre dans son esprit. Il essaie d’établir un enchainement harmonieux des faits. A certains moments, le doute le gagne ; il se demande s’il n’a pas rêvé. Qui va le croire ?
« Voyons ! Le monstre qui terrorise le village traversait la forêt. Par hasard il met son pied dans mon piège. J’entends le claquement, me précipite, et le voilà en face de moi, sous la pleine lune. Il m’appelle par mon prénom, je le dévisage, le reconnais ; c’est Yatim, sans aucun doute. Et comme il était un ami d’enfance il a pitié de moi. Il m’épargne, me conseille même de rentrer chez-moi. Jusque- là, toute est clair, logique, harmonieux. Mais comment Yatim pouvait-il se retrouver là alors qu’il est mort il y a deux mois. Tout le monde le sait, j’ai même assisté à son enterrement…aux fantômes je n’ai jamais cru ».
 
-- Said ! Said ! Ne t’ai-je pas dit de ne pas partir ?
Sa femme furieuse lui balance à la figure les trois lièvres en continuant à s’écrier :
-- Je n’ai pas besoin de tes bêtes !
Il murmure en se frottant les yeux :
-- Ce n’était donc pas un cauchemar !
-- Qu’est-ce que tu racontes
-- Rien, dit-il sèchement ; cesse de m’embêter de bon matin, je n’y retournerai plus.
-- Tu n’as pas le choix ! Je t’interdis de mettre les pieds dans cette maudite forêt.
-- C’est entendu ! Tais-toi maintenant ! Je ne me sens pas bien.
Sa femme baisse le ton :
-- J’ai peur qu’il t’arrive un malheur, Said, je n’ai que toi.
-- Je sais, je sais…
-- Tiens, prends le couffin et vas nous chercher du pain.
-- Du pain ? Ah oui, je vais chercher du pain.
-- En attendant, je vais les préparer, comme tu les aimes.
-- D’accord.
-- Qu’as-tu Said ?
-- Rien, rien ; donne moi le couffin.
 
Il commence à pleuvoir, Said presse le pas. Il faisait beau la veille. La lune, les claquements des pièges, les lièvres, Yatim, la hache. Tout lui revient. Personne ne le croira s’il raconte qu’il a parlé à un mort, les gens le prendront pour un fou. Mais il l’a vu ; Le même visage, la même voix. La même allure. Incroyable ! Said ne supporte pas de garder à lui seul ce qu’il à vécu. Il doit se confier à quelqu’un de discret et rompu à de pareilles histoires. Il n y a pas mieux que Cheikh Abdelhakim, un homme sage et connaisseur qui écoutent tout le monde, et donne un sens même aux bêtises.
« J’achèterai le pain et je me rendrai chez lui ».
 
Cheikh Abdelhakim habite seul. Il a partagé la majorité de ses biens entre ses enfants. Sa femme, comme jalouse de l’amour qu’il commençait à témoigner à sa solitude, le quitta pour aller vivre  chez le plus jeune de ses fils. « J’ai accompli mes devoirs de père de famille, expliqua-t-il un jour à Said ; je dois maintenant me consacrer à me préparer à mourir sans souffrance, sans remords. Ordinairement ». Il renferme toutes les histoires secrètes du village dans sa mémoire. Tout le monde se confie à lui…se confesse à lui. A son tour, il ne se contente pas de n’appartenir qu’à sa famille, de n’être le père que de ses propres enfants, que ne le touchent que les souffrances de ses proches. Il appartient à tout le monde. C’est pourquoi tout le monde aime lui appartenir.
Said entre :
-- Bonjour Cheikh.
-- Bonjour, mon fils, soyez le bienvenu, entrez, asseyez-vous.
-- Merci Cheikh.  
-- Je crois que c’est la pluie qui vous a chassé de la rue, plaisante Abdelhakim, vous avez mal choisi votre abri, ça goutte partout chez moi.
-- Non Cheikh, je passais et il me vint à l’idée de vous rendre visite.
-- Vraiment ?
-- …Et pour autre chose aussi.
-- Ah ! Nous-voilà ! dit-il en souriant ; je le savais ; et que puis-je pour vous ?
-- Tout d’abord, je tiens à ce que cela reste entre nous.
-- Vous doutez de ma confiance ?
-- Pas du tout, mais je n’ai pas pu m’empêcher d’insister sur ce point.
-- Ce n’est pas important ! Parle !
-- Je voulais vous demander si les fantômes existent.
-- Les fantômes ?
-- Oui, les fantômes
Abdelhakim baisse la tête, la relève, fixe Said et lui dit, l’air amusé:
-- Une question intéressante ! Mais avant de vous répondre je préfère vous interroger à mon tour.
-- Oui !
-- Est-ce que vous existez ?
 
A suivre…

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22 décembre 2007 6 22 /12 /décembre /2007 00:00

Nul ne sait comment le village avait poussé la première fois en cet endroit isolé. Les hypothèses et les avis diffèrent. Ils diffèrent tellement qu’on préfère n’en rien savoir que de se perdre dans le labyrinthe de son histoire. Peut-être, l’homme qui fut le premier à s’y installer, las de la nudité des terres qui le mettaient tant à découvert, était attiré par l’abondance de la forêt qui couvre les lieux. Et rien n’empêche de penser que c’était une femme qui fugua et vint s’y refugier ; les siens, accourant à sa recherche, découvrirent ce coin qui les retint par sa beauté et sa fertilité.
Le village est plongé dans le chagrin et l’inquiétude en cette fin de mois de novembre. Il y a trois semaines, une femme qui était allée chercher comme d’habitude du bois à la forêt, est retrouvée pendue à un arbre à l’aide de sa propre corde. On pensa au suicide. Mais tout le monde repoussa l’idée tant cette femme ne semblait guère avoir la moindre raison qui augurait un tel acte.
L’évènement serait vite oublié si, après quelques jours, son mari ne fut pas retrouvé, à son tour, mort dans la forêt, tué par son propre fusil. Les plus bavards du village ne surent que chuchoter. Tout le monde se taisait à l’enterrement. L’imam qui prononçait les dernières paroles avant d’introduire le défunt dans son éternelle demeure, se réjouissait de l’étonnant silence qui planait. Il passait son message aisément, croyait même atteindre au plus profond l’assistance qui, en d’autres circonstances, se rebellait et le blessait de son indifférence. Il y avait dans les cœurs plus de nuit que de jour, comme s’ils se conformaient aux lois de l’hiver qui s’annonçait.
Au moment où les autorités enquêtaient pour éclaircir le mystère et mettre la main sur l’éventuel auteur des crimes, un autre évènement survint. Le frère de la défunte est retrouvé inconscient dans la forêt, avec une blessure à la tête jugée grave. Les gendarmes qui croyaient en tirer profit pour mener à bien leur enquête, vite déchantèrent. Le blessé tarda à reprendre l’usage de la parole et parait ne savoir lui-même ce qu’il lui était arrivé. La rumeur allongea la liste des victimes ; furent ajoutés tous ceux qui ont disparu du village ces derniers temps. Les gendarmes passèrent au peigne fin toute la forêt. Rien. Ils interpelèrent et interrogèrent plusieurs suspects puis les relâchèrent. Que faire ? Ils interdirent aux habitants de se rendre à la forêt et sortir la nuit.
On devait donc rentrer chez-soi, barricader sa porte et prêter l’oreille ; on ne sait jamais, le monstre, ne trouvant rien à se mettre sous la dent, pourrait descendre et s’introduire dans les habitations. Le bruit du plus petit bout de papier, mu par le plus faible des vents nocturnes, se faisait aisément entendre.
 
Said se tire doucement de son lit mais la main tremblante de sa femme le retient. « Ne sors pas, ne me laisse pas seule ». Il se recouche. Il croyait qu’elle s’était endormie. Il ne supporte pas de rester enfermé, sans même faire son habituelle promenade nocturne dans le jardin. Il n’arrive pas à admettre qu’on le prive de sa passion. Comment pourra-t-il résister à ses nuits de chasse ? Comment pourra-t-il laisser une nuit filer sans tendre ses pièges dans la forêt ? Et comment ose-t-on lui soustraire sa liberté de risquer…Sa passion bien enracinée en lui et son vouloir de braver les fous des interdits arrivent à vaincre sa peur et son angoisse. Il décide d’aller poser ses pièges et attendre dans la forêt jusqu’à l’aube. Il aura plus de chance de faire de bonnes prises en l’absence des autres chasseurs. Il aura même le loisir de s’approprier temporairement leurs territoires. Il ne reviendra pas bredouille.
Il attend maintenant que sa femme passe à une étape plus profonde de son sommeil. Elle gâtera tout si elle se réveille…Mais il la connait bien, dès qu’elle commence à ronfler il pourra partir.
 
Clac ! Said accourt, il dégage le gibier du piège, l’égorge, le met dans le sac en savourant cette satisfaction dont seuls les passionnés connaissent la véritable douceur. Il regagne sa cachette. Il est à son troisième lièvre. Il attend le claquement de son quatrième et dernier piège.
« C’est une nuit faste, juge-t-il; si les autres chasseurs étaient là les choses se seraient passées autrement ; Il y aurait eu beaucoup de bruit ; le gibier aurait pressenti le danger. J’ai eu raison d’avoir  le courage de sortir au moment où la peur hante le village. J’en suis récompensé, je suis libre, toute la forêt m’appartient en ce moment ».
 S’ils étaient là, ils l’auraient détourné de ce beau paysage nocturne. La pleine lune a donné à l’endroit un autre visage. Les arbres étalent leurs ombres comme en plein jour. Les pierres en faux marbre, éparpillées ça et là, comme habillées, une à une, par la lune en… personne, brillent, offrent au ciel reflets et scintillements en guise de remerciement.
Clac ! Said accourt, arrive à l’endroit où le quatrième piège était tendu. Un homme est là. C’est lui qui a produit le déclic.
--  Said ! Prends tes pièges et rentre chez-toi, il est presque l’aube !
-- Oui, oui, répond Said en s’apprêtant à s’exécuter sans chercher à trop savoir, car il a déjà reconnu l’homme qui lui tourne le dos maintenant, s’en va en hâtant le pas ; sa hache brille chaque fois qu’il traverse une zone éclairée.
 
A suivre….

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19 décembre 2007 3 19 /12 /décembre /2007 00:00

 
  La fête de l’Aid-El-Adha  symbolise le sacrifice. Abraham était prêt à sacrifier son fils, un enfant qui étonna par sa compréhension et son obéissance, exécutant l’ordre de Dieu. Sa foi lui permit de juger que son acte était nécessaire puisque l’exigence avait émanée du Tout-Puissant. La religion d’Abraham se voulait source de justice, de liberté et d’amour ; c’est pourquoi le sacrifice ne lui sembla pas disproportionné.
   Pensons à nos enfants, tout ensemble ; mettons-nous, tout ensemble dans la situation où se retrouva Abraham. Peut-être, n’aurions-nous pas, tout ensemble, pris la même décision. Nos différences nous auraient…différenciés. J’ai aimé insérer ici cette supposition pour mettre en évidence le caractère individuel du sacrifice d’Abraham.
   Et c’est ce caractère individuel qui doit dominer aujourd'hui. Ne me reprochez pas la comparaison entre l’ère d’Abraham et la nôtre, car la justice, la liberté et l’amour demeurent les mêmes en tout lieu et tout temps. Chacun de nous doit donc faire individuellement des sacrifices pour que ces valeurs règnent et enfantent un environnement qui sera dans le pire des cas vivable.
 
   Que chacun de nous sacrifie sa subjectivité, ses penchants parfois fantaisistes, et accepte tout ce qui est juste. Que chacun de nous se soustrait aux pouvoirs qu’exercent sur lui ses semblables moyennant divers intérêts qui, en aucun cas, ne peuvent égaler sa liberté. Que chacun de nous profite du moment de répit de son égoïsme pour aimer et aider son prochain. Que chacun de nous se libère des raisons qu’il se fait pour abandonner ceux qui se trouvent dans le besoin, arguant parfois qu’ils méritent leurs sorts, et qu’il est même un péché de venir à leur secours. Commettons ce beau péché !
   Utopique ! Pensons alors, au moins, à un petit bout de sacrifice ; un petit plus qui nous déclouera de notre comportement présent, qui nous fera avancer ne serait-ce que d’un iota et nous mettra sur une voie carrossable qui nous mènerait vers un monde meilleur.
   Utopique ! Ne désespérons pas, si notre environnement nous emprisonne et nous aveugle. Que chacun de nous sacrifie les idées et les sentiments qui lui sont si chers et qui l’empêchent de croire que la justice, la liberté et l’amour font le bonheur humain.
 
Saha Aidkoum !      

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13 décembre 2007 4 13 /12 /décembre /2007 00:00

 Ils agitaient les bras, ils criaient. Ils lui demandaient de descendre. Ils le lui...ordonnaient.
-- Qu’est ce qu’ils veulent à votre avis ? demanda-t-il à Adila.
-- Tout cela est de ma faute, ils ont l’intention de vous emprisonner pour que vous ne reveniez plus chez moi.
-- M’emprisonner ? Mais je suis le Roi !
-- Vous étiez le Roi ; Vous ne l’êtes plus maintenant. Votre couronne à commencé à fondre depuis que vous m’aviez obéie. Je sais, vous êtes convaincu que vous n’aviez agi que pour le bien de votre peuple. Vous rêviez d’instaurer l’égalité et la paix. Vous êtes satisfait des premières mesures que vous aviez prises. Vous croyez que tout le monde aime la justice. Vous allez vous apercevoir dans un moment que vous vous trompiez. Vous comprendrez quand ils arriveront ici. Regardez comme ils suent pour vous atteindre. Votre femme qui n’avait certainement jamais escaladé une montagne se trouve au premier rang, suivie de vos frères, de vos proches, des vizirs…Tout ce monde n’éprouve pas la satisfaction qui vous comble. Ils ne tolèrent pas que le simple citoyen ait les mêmes droits qu’eux…ils tenteront de vous faire revenir sur la façon dont vous comptez gérer le pays.
-- Non, s’écria le Roi, ça ? Jamais !
-- Alors préparez-vous à les affronter ! Moi, je dois m’éclipser.
-- Vous m’abandonnez ?
-- Non ! Si vous arrivez à les vaincre je vous rejoindrai. Si vous êtes vaincu rejoignez-moi, je suis partout.
 
Le Roi se retrouva encerclé. La Reine s’avança vers lui, le fixe, puis s’adresse aux vizirs :
-- Ne vous-ai-je pas dit qu’il est fou ? Attention ! Il pourrait être dangereux, il faut le ligoter !
Le Sultan, offensé par les propos de sa femme, se défendit :
-- C’est elle qui est folle ! Regardez ses yeux, vous y verrez le diable ! Je vous ordonne de regagner la Palais, je vous rejoindrai le moment venu.
Tout le monde éclata de rire.
-- Calmez-vous ! intervint le vizir chargé de l’ordre et la sécurité, la Reine a raison. Il faut le ligoter. Toi, toi et toi…
Trois hommes de forte corpulence se ruèrent sur le Roi qui, les voyant venir dégaina son épée ; mais avant même de s’en servir il se sentit transpercé à plusieurs endroits du corps. La Reine n’eut alors plus besoin de le ligoter pour l’immobiliser.
Elle s’approcha de lui, et de son pied le retourna. Il ne s’était pas encore éteint. Il articula :
-- Morts, vous l’êtes depuis longtemps, c’est en vous quittant que j’existerai…
Et il rendit l’âme. Mais il souriait encore. Un sourire d’un charme extraordinaire s’était figé sur sa bouche. Comme une moquerie. Le sourire triomphant blessait profondément chaque cœur haineux qui se penchait sur le cadavre. La Reine fut la première cible touchée. Furieuse, elle ordonna :
-- Qu’on le défigure !
Son ordre fut immédiatement exécuté. Le visage du Sultan ne se distinguait plus. Mais le sourire triomphant persistait. Il s’était gravé ineffaçablement sur la mémoire des présents et s’amusait d’un moment à l’autre à remuer leur conscience.
   La caravane guidée par la Reine rentrait au palais. Le vizir des affaires personnelles fermait la marche. Il s’était arrangé pour se retrouver au dernier rang ; parfois il  se laissait distancer, il craignait qu’on sache que la disparition du Roi l’attristait. Il arrivait à peine à taire son chagrin. Lui seul savait que le Sultan avait sacrifié sa vie pour une cause juste. Adila est une créature qui anime celui qui la rencontre d’une volonté, d’une passion de changer le monde ou le quitter.
Son cheval s’arrêta. Il connait bien la bête. Il scrute les alentours. Au sommet de la montagne Adila rayonnait, un flambeau à la main ; à ses cotés Le Roi continuait à sourire.
 
Fin.

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12 décembre 2007 3 12 /12 /décembre /2007 00:00

La nouvelle suscita une grande admiration au sein de la population. Un espoir naquit même chez les démunis qui n’étaient pas directement concerné par ce changement d’attitude du Sultan. Mais quand le soleil se lève, il éclaire et réchauffe tout le monde. Le discours ne passa pas cependant sans créer un mécontentement dans le palais. Le soleil éclaire, réchauffe, mais dévoile aussi. Etaient mécontents les vizirs qui virent dans cet étonnant retournement une atteinte à leurs pouvoirs, à leurs biens. La Reine qui était de leurs avis se sentit frustrée. Le discours de son mari lui avait révélé qu’il lui échappait. Il ne lui avait pas fait part de ses intentions à la veille du jour historique. Il n’avait pas jugé utile de l’associer à son important projet. Il craignait peut-être qu’elle s’y opposerait. Il n’avait pas tort. Le Reine ne pouvait plus s’empêcher de penser que son mari avait perdu confiance en elle.
Chacun des mécontents put contenir sa révolte pendant les premiers jours qui suivirent le discours. Tous brulaient de crier haut que le Roi était fou mais personne ne dit mot. Ils attendaient que quelqu’un ose. Et la Reine osa.
Quelque jours après l’évènement, Elle réunit les opposants : « Le Roi est parti à l’aube, sans gardes, il n’est pas revenu ; je sais bien que vous n’avez pas accepté comme moi ce qu’il avait entrepris. Je sais qu’il vous inquiète autant que moi. Il est temps de le sauver de sa folie. Préparons-nous pour aller à sa recherche. Maintenant ».
Le roi scrute la montagne, le cœur débordant de joie. Elle est là haut, son rêve. Il risqua un coup d’œil derrière lui. Rien. « Oh ! Si seulement personne ne m’a suivi ! Je me retrouverai seul avec elle. Adila sera contente quand elle saura que j’ai exécuté tous ses ordres. Elle n’hésitera pas à m’épouser. Si seulement le vizir qui l’a rencontré le premier jour ne parlera pas aux autres. Il m’a promis de ne rien révéler de cette histoire, mais je m’en doute. J’ai constaté ces derniers temps que toute la cour se méfie de moi. Pourtant je n’ai rien fait de mal. Au contraire, en obéissant à Adila, je me suis senti réconforté. Réconforté pas la joie des mères dont les enfants ont été libérés, par celle des propriétaires qui ont recouvré leurs biens, et par celle qu’exhalent les doux regards des simples citoyens confiants et admirateurs. Toute cette satisfaction, ce contentement jamais éprouvé avant, est le fruit de mon obéissance à Adila. Seulement mon obéissance. Si je l’épouse, je serai l’homme le plus heureux au monde ».
« La voilà sa tente blanche au sommet de la montagne. Adila est donc encore là. Elle m’attend. Elle a tenu sa promesse. Mais pourquoi mon cheval s’arrête en un si bon chemin. Allez sale bête ! Avance ! »
L’animal ne bougea pas. Le sultan descendit de sa monture et continua sa marche à pied. Il arriva à la montagne, grimpa, grimpa ; son escalade s’avéra plus simple que l’autre fois, quand il était venu, accompagné de son vizir des affaires personnelles. Il ne rencontra plus d’obstacles. Adila apparut, illumina le paysage de son rayonnement. Elle ouvra grand les bras pour accueillir le Roi. Il se hâta, arriva, se pressa de lui annoncer :
-- J’ai fait tout ce…
-- Je sais, je sais, repose-toi maintenant !
Elle lui tend la main et lui dit, d’une voie ou se mêlent respect et pudeur :
-- O Roi ! Vous m’avez méritée !
Le sultan, ne pouvant pas soutenir le charmant regard de la jeune femme, baissa les yeux. Il ne toucha même pas la belle et tendre main qui lui était tendue. Il ne sut tout d’abord expliquer la faiblesse qui le gagnait. Mais vite il réalisa que ce n’était ni une faiblesse ni une timidité. C’était une force extraordinaire dont il s’était senti envahir en arrivant chez Adila. Une force qui changea tout d’un coup son but, son espoir, son rêve. Il éprouva un désir tout autre. Le désir de se soustraire à sa petitesse, à son insignifiance aux yeux d’Adila. Il n’admettait que ses sacrifices aboutiraient à une aventure ordinaire et…vite périssable comme ce fut le cas, maintes fois, avec d’autres femmes. Cette fois, c’était différent. Entièrement différent. Ne le tentait plus ni cette main angélique qu’Adila lui offrait, ni la sveltesse irrésistible de son corps. Il rêvait de faire de toute cette beauté, de tout ce charme, un autre sacrifice. Il aspirait à acquérir la vertu d’être un homme juste. Un homme libre. Il avait goûté à un bout de cette justice, à un bout de cette liberté, en prononçant son discours historique. Il en est encore ivre.
-- Vous m’avez méritée, répéta Adila, je vous accepte comme époux, c’est ce que je vous ai promis.
-- Vous croyez qu’il est juste qu’un vieil homme comme moi, ruiné par le temps, mérite une femme si tendre, plus jeune que ma propre fille ?
-- Mais je dois tenir ma promesse, je dois vous récompenser pour tout ce que vous avez fait pour moi.
-- j’ai déjà obtenu une forte récompense. Votre seul amour me comble, vous êtes libre de votre autre promesse.
-- regardez ! Regardez ! l’interrompit-elle.
Le souverain se retourna. Au pied de la montagne, tout une armée les observait. De loin, il reconnut la Reine et quelques vizirs. Il réalisa alors qu’il avait été suivi.
A suivre…   

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10 décembre 2007 1 10 /12 /décembre /2007 00:00

-- Comment vous appelez-vous ?
-- Adila.
-- Et pourquoi avez-vous choisi cet endroit ?
-- je n’existerais pas si je n’étais pas au dessus de tout.
-- Au dessus de tout euh…quel âge avez-vous ?
-- j’ai toujours existé.
-- Vous ne m’aurez pas donné de telles réponses si vous saviez qui je suis.
-- Je le sais, vous êtes le vizir.
-- Et comment le savez-vous ?
-- Je sais tout.
« Une sorcière, pensa le vizir, ou une envoyée des djinns qui tente de me séduire et m’attirer dans son univers ». Sa crainte s’éclipsa quand il évoqua les moqueries des autres vizirs et la grogne du Roi s’il retournait bredouille. Le vouloir de voir ses collègues humiliés devant la considération du Sultan pour lui, de passer devant eux la tête haute et l’air hautain, l’encourage à s’aventurer pour réussir à ramener au palais la belle créature.
-- Vous êtes une femme très belle…
-- Je l’ai toujours été.
-- Le Roi sera très ravi de vous voir.
-- Je ne te crois pas.
-- Venez avec moi au palais, vous le constaterez de vous-même.
-- Impossible de vous accompagner, de descendre de cette montagne, ne t’ai-je pas dit que je désire demeurer au dessus de tout ?
-- Mais pas au dessus du Roi !
-- même au dessus du Roi.
La patience du vizir s’épuisa. Il ne lui restait que de tenter l’autre méthode : la ramener par la force. Il s’approcha d’elle et la tint par le bras.
-- il faut que vous alliez avec moi au palais de gré ou de force !
Adila se dégagea brutalement. Sa force étonna le vizir. Il fut ébahi quand il la vit s’élever, s’élever, puis s’immobiliser en plein air sans l’aide du moindre support. Elle se trouvait à quelques mètres au dessus de sa tête ; il se frotta les yeux, les ferma, les rouvrit, elle était toujours là. Ce n’était donc pas un rêve. Il prit son arc, y plaça une flèche et lui lança l’ultime avertissement en la visant.
-- Ou vous descendez tout de suite, ou je vous transperce !
Elle éclata de rire. Un rire qui conforta la justesse de l’idée qu’il se faisait d’elle avant, sans vraiment s’en convaincre. Sa flèche ne résoudrait rien. Une créature capable de se maintenir dans les airs serait invulnérable. Il rangea son arme. Même s’il avait pu s’en servir il n’aurait eu aucun honneur en abimant sa belle capture. « Mais que faire mon Dieu », soupira-t-il.
-- Dites au Roi de venir me voir.
-- Le Roi, venir vous voir ? Vous êtes folle ?
-- Vous saurez le convaincre.
-- Le convaincre ? Mais pourquoi ne pas me simplifier la tâche en me raccompagnant au palais ?
-- Je ne bougerai pas d’ici sans que mes conditions ne soient acceptées.
-- Quelles conditions ?
-- Je les exigerai au Roi s’il décide de venir me rencontrer au sommet de cette montagne.
 
 
Le Roi rassembla toutes les hautes personnalités de son palais. A ses cotés, étaient assis la reine, l’air quelque peu inquiété, et le vizir des affaires personnelles dont le visage exhalait quelque fierté. Tout le monde avait constaté ces derniers temps l’estime que lui témoignait le Sultan. Et pourtant, il était revenu les mains vides au retour de son périple. Ses collègues attendaient qu’il soit réprimandé ; rien ne fut de cela. Au contraire, Le Roi l’accompagna quelques jours plus tard  dans un voyage dont la destination demeura inconnue. On chuchotait au palais que le vizir aurait trouvé un précieux trésor. Mais personne n’en était vraiment certain. La seule certitude était que le rassemblement ordonné par le Roi avait une relation avec les agissements curieux et orgueilleux du vizir des affaires personnelles.
Le Sultan prit la parole : « Ce jour marquera le début d’une ère nouvelle dans l’histoire du royaume. Je vais vous communiquer les décisions importantes que nous avons prises. Nous avons agi en notre âme et conscience pour le bien de tous les citoyens. Je sais qu’il y aura des réticences quant à l’application de nos ordres. Sachez que tout ce que nous avons décidé doit être concrétisé. Nous avons dans nos prisons des détenus incarcérés pour la simple raison d’avoir une opinion contraire à la nôtre. Certes, ils nous offensés ; ils nous ont mêmes insultés ; mais ils avaient utilisé leur intelligence et leurs idées, et nous avions usé  de la puissance de nos bras. Nous n’étions pas à armes égales ; ils avaient…de vraies armes. Il y avait injustice. Ce qui nous a valu la perte de la confiance de notre peuple que je décide de reconquérir ce jour en ordonnant la libération immédiate de ces prisonniers. Les femmes du harem ont le libre choix de partir ou de rester. Que chacune mène sa vie comme bon lui semble ! Il nous sera désormais difficile et insupportable d’être la cause du malheur de quiconque. J’ordonne que tous les objets, tous les biens, accumulés injustement dans le palais, soient restitués à leurs véritables propriétaires. Enfin nous informons nos savants qu’ils ont toute la liberté de penser et s’exprimer ouvertement, sans crainte d’être muselés par quiconque. Toutes les décisions que nous avons prises doivent-être exécutées à partir d’aujourd’hui, rien ne m’assure que je serai de ce monde demain ».
A suivre…    

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9 décembre 2007 7 09 /12 /décembre /2007 00:00

Le Roi avait sous son autorité tout le pays. Cela n’aurait étonné personne si le sens du mot « pays »ne contenait pas, en plus des biens matériels, les esprits et les cœurs des citoyens. La première loi qui régissait le royaume et de laquelle découlaient tous les règlements s’intitulait : Tout appartient au Roi, tout obéit à sa volonté. S’il désirait ôter un enfant à sa mère et l’offrir à une autre femme, personne ne devrait protester ; la plainte de la mère serait vite rejetée car elle mettrait en doute la sagesse et la clairvoyance du Souverain. Et nul n’avait le droit d’en douter.
Comment agissait sa Majesté pour qu’il n y ait pas d’entrave à l’exécution de ses décisions ?
Il avait gagné la confiance de son peuple. Chaque fois qu’une voix s’élève pour protester, la muselait les reproches niaises de la majorité des habitants ; elle est accusée de blasphème. Se retrouvant isolé, le révolté finissait par reconnaitre qu’il avait perdu la raison car il ne pouvait pas être plus connaisseur que ses parents, ses aïeux ; que toutes les générations qui défilèrent. Si les riches et les pauvres du Royaume convenaient pour une même idée, elle ne serait autre que d’obéir au Roi et l’adorer.
Rien n’est jamais parfait. Le pays n’échappait pas à la véracité de ce dicton. Partout, la Terre à toujours donné naissance à cette sorte d’individus qui préfèrent mourir que se soumettre ; des gens à l’esprit perçant, allant au-delà de toute limite, aux cœurs bondissant, brisant parfois les poitrines pour les quitter et aller s’éclater en toute liberté. On les désignait par le qualificatif connu par tous les citoyens : les brebis galeuses.
Cette situation n’est nullement étrangère au Roi. Aux brebis galeuses il désigna des loups galeux. Il devait suivre les conseils du défunt père. Et ce genre de loups ne manquait pas. Ils avaient même un vizir à leur tête. Un vizir dont la tâche est beaucoup plus simple comparativement à celles plus ardues de ses collègues. Le Souverain en était satisfait ; une satisfaction souvent altérée cependant pas l’incapacité d’un autre vizir, chargé des affaires personnelles du Roi. Son activité consistait à rechercher à travers le Royaume  toute chose qui plairait au Souverain qui ne faisait qu’enrichir ses collections. Il y en avait celle des objets rares et de valeur et dont on excluait tout ce qui  ternissait l’histoire du pays. Il y en avait celle qui regroupe les plus beaux animaux et dont on chassait les bêtes qui devenaient venimeuses. Il y avait le harem bouillant de très belles femmes, et que le temps nettoyait de toute femelle qui se laissait, par inattention ou par fatalité, piétiner par la vieillesse. Enfin, il n’est pas sage d’oublier les sages : le cercle des plus éminents savants dont on appelait à des fonctions insignifiantes ceux qui s’avèrent avares de leur savoir pour le bien du Souverain.
Comme elle était ardue, la tâche du vizir des affaires personnelles du Roi ! Il devait dénicher l’objet exceptionnel, l’animal, la femme, le savant…Ses échecs répétés lui avaient valus tant de colère de la part du Roi, sous les yeux amusés et moqueurs de ses collègues qui trouvaient de quoi atténuer leur jalousie.
Blessé, le vizir décida d’entamer une tournée à l’intérieur du pays, et ne revenir qu’avec une bonne surprise pour le Roi.
Il traversait une contrée qui semblait déserte quand son cheval s’arrêta tout d’un coup. Il connaissait l’animal, la bête hennissait pour le prévenir d’un danger imminent, s’arrêtait pour l’avertir de l’existence de l’exceptionnel dans l’alentour. Grace à cette bête, il bénéficia maintes fois des éloges du Roi. Mais les rois voient vite s’éteindre les bienfaits des autres.
N’ayant jamais douté du flair de son cheval, le vizir mit pied à terre. Il scruta les parages. Au sommet de la plus haute des montagnes, se dressait une tente. Une tente toute blanche. « Allons voir, pensa-t-il, il y a peut-être là un objet qui intéresserait le Roi ».
Il laissa sa monture au pied de la montagne et commença à grimper. Le chemin était dur. Il y avait rencontré beaucoup d’obstacles, mais son désir de faire plaisir au Souverain l’aidait à avancer. Chaque fois qu’il s’approchait d’un pas de la tente, sa curiosité s’accentuait. Il rêvait d’y trouver un trésor et l’offrir à sa Majesté. Ainsi, les autres vizirs, qui se plaisaient de le voir malmené, en mourraient de jalousie…
Mais ce n’était qu’un rêve. Il ne trouva rien sous la tente. Il n y avait ni lit, ni eau, ni feu ; pas de traces de vie. Le sol de l’intérieur ressemblait au dehors, ce qui fit penser au vizir que la tente venait juste d’être dressée. On ne l’avait pas encore balayée des pierres. « Le propriétaire, pensait le vizir, va certainement revenir, je l’attends ici ».
Et il attendit.
De toutes les femmes qui défilèrent au harem, il n’avait jamais vue une aussi belle et élégante que celle qui se trouva, comme tombée du ciel, en face de lui. C’était d’une telle créature qu’il rêvait. Son imagination lui montra combien de fois ces mêmes traits, cette même beauté, ce même charme… cette même femme, mais d’une façon fugitive qui ne lui permettait pas d’en pétrir un véritable corps et l’offrir en précieux présent au Sultan.
Ce jour fut différent. Il lui fut épargné l’effort de concrétiser l’image dont il rêvait. La femme était là, en face de lui. En chair et en os. Palpable. Ce n’était pas une hallucination.
Le vizir demeura un moment perplexe puis lui demanda :
-- Vous habitez cette tente ?
-- Oui, répondit-elle, d’une voix plus douce que toute musique.
 
A suivre…

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