28 décembre 2007
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-- Vous êtes venu me chercher ? lui demande Yatim, ironisant.
Abdelhakim réplique en essayant de dissimuler sa crainte :
-- Non, je suis venu chercher la vérité.
-- Vous l’avez trouvée, malheureusement vous ne pourrez pas la transmettre aux autres.
-- Pourquoi ?
-- Pour le faire, il faut que vous reveniez au village et je m’en doute…
-- Tant que ce n’est pas une certitude, il y a toujours un espoir.
-- Ce qui me plait en vous Cheikh est que vous savez bien vous défendre.
-- Vous savez bien que je n’ai rien fait de mal, rendez-moi mon arme et laissez-moi partir.
-- Partir où ? Il y a plusieurs façons de partir.
-- Voulez-vous dire que vous allez me tuer ?
-- Non ! Je n’ai jamais tué personne mais ça ne veut pas dire que vous n’allez pas mourir.
-- Qui va me tuer donc ?
-- Vous-même.
-- vais-je me suicider ?
-- Oui, comme tous les autres.
-- Les autres, c’est vous qui les avez tués.
-- Ne vous-ai-je pas dît que je n’ai tué personne ?
-- Vous avez assisté à leur mort alors ?
-- Oui ! Ma mère était venue la première me rendre visite. Elle s’agenouilla près de ma tombe et implora mon pardon. Je m’étais tu pour la laisser se vider de son chagrin mais je tenais que les remords demeurent en elle éternellement. C’était mes redoutables armes. Au moment où elle me quittait je sortis de ma tombe pour n’y revenir qu’avec une âme en paix. Je me mis à marcher à coté de ma mère ; elle ne me voyait pas mais pouvait m’entendre. « Mère, lui ai-je-dit, comment puis-je te pardonner ? Tu ne m’avais jamais aimé ; tu as été la cause de la mort de mon père ; la cause de ma folie, la source de toutes mes souffrances. Comment puis-je te pardonner ? Je n’oublierai jamais les propos que tu échangeais avec cet étranger alors que je n’avais que six ans ; il était le chef qu’on disait respectable du groupe donc faisait partie mon père ; tu te souviens ? La guerre faisait rage, tu cachais l’étranger dans ton lit et tu envoyais mon père monter la garde ; Tu te souviens ? J’encaissais, je ne te reprochais rien, je croyais toujours que les adultes étaient plus sages et ne pensaient qu’à notre bien, nous les enfants. J’ai cessé de le croire le jour où vous vous mettiez d’accord, toi et cet homme, pour envoyer mon père à une bataille désespérée. Je vous entendis vous réjouir après sa mort. Le ton du you-you que tu lançais pour exprimer ta joie d’avoir donné à la patrie ton mari en martyr, sonnait l’hypocrisie, la tromperie et la traitrise. Et souviens- toi, mère : tu m’obligeas, quelques temps après, à appeler « papa », cet homme qui n’était même pas de nos environs. Je refusai. Vous m’avez chassé, toi et cet individu qui devint peu après ton mari, de la maison que père avait bâtie de ses propres mains. Vous vous étiez empressés de vous débarrasser de l’enfant « impoli » qui altérait la vie douce que vous comptiez mener. Mon regard pitoyable vous écœurait, vous y voyiez, comme dans un miroir, l’horrible image de votre crime. Te souviens-tu du jour où tu m’avais conduit chez ton frère, lui proposant de me garder chez lui. A jamais. Et ce n’est que plus tard que j’ai su pourquoi mon oncle me chérissait tant au début ; il changea subitement dès qu’il me déposséda de la terre que mon père m’avait léguée. Et je me retrouvai enfant de personne, vivant nulle part. La folie m’ouvra ses bras, m’accueillit, me soulagea de toutes les souffrances et me libéra de toutes les contraintes. Comment, mère, puis-je te pardonner ? Je n’ai même pas eu la chance de mourir ordinairement sur un lit. Ma dépouille fut ramassé dans la rue ; te souviens-tu ?»
Yatim observe un long moment de silence, Abdelhakim intervient :
-- Et ensuite ?
-- Ma mère commença à pleurer ; elle se tournait vers tous les cotés pour me voir mais en vain, elle n’entendait que ma voix. Elle m’implora :
-- Pardonne-moi mon enfant ! C’est du passé, nous ne connaissions rien de la vie.
-- Je ne peux pas maman, répondis-je, me trouvant seul ici, les mauvais souvenirs me reviennent.
-- Je suis prête à tout sacrifier pour que tu me pardonnes.
-- Il existe bien un moyen, maman…
-- lequel ?
-- Viens me rejoindre, pour que nous rattrapions ensemble les jours perdus
-- Je te rejoindrai le jour de ma fin.
-- Mais tu peux précipiter ce jour, n’as-tu pas envie de me voir maintenant ?
-- Et comment puis-je le faire ?
-- Monte sur cet arbre !
-- Je fais tout ce que tu veux, gémit-elle, en m’obéissant aveuglément.
-- Choisis maintenant une branche bien solide !
-- en voilà une !
-- Attache un bout de la corde à la branche, et noue l’autre bout autour de ton cou !
Elle exécutait mes ordres sans hésitations :
-- Et après ?
-- Je suis là, en bas, il suffit de sauter, je t’accueillerai dans mes bras.
Et elle sauta.
Abdelhakim dont la curiosité lui a fait oublier sa propre situation, interroge Yatim :
-- Et les autres ?
-- C’était encore plus facile avec mon…beau-père ; car nous étions deux, moi et maman, à lui suggérer de se joindre à nous. Son fusil de chasse nous simplifia les choses. Quant à mon oncle, il a été sauvé par quelqu’un qui passait au moment où il traversait la frontière qui nous séparait. Il n’est pas réellement sauvé, lui aussi va trépasser dans quelques jours, il succombera à sa blessure. Si tu avais une seule chance de revenir là-bas, tu pourrais leur annoncer la nouvelle, tu leur ferais croire à ton pouvoir prémonitoire.
-- Comment avez-vous réussi à vous faire obéir ?
-- Facile ! Je réussissais à remonter à la surface de leurs consciences les remords qui y hibernaient.
A suivre…