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14 décembre 2006 4 14 /12 /décembre /2006 00:03

  
  Depuis qu'il est venu s’installer dans cet appartement du cinquième étage, il a pris goût à contempler le paysage qui s’offre à lui dès qu’il se met sur le balcon. Il ne s'est jamais senti aussi haut ; parfois, quand la rêverie l'emporte trop loin et qu'il atteint l’état de n’être que pur esprit, il se voit comme un dieu veillant sur ses petites créatures. Ce moment ne dure cependant que peu de temps car la lourdeur de son corps revient vite l’étrangler, altérer sa pensée, le retirer brusquement de son paradis…Et reviennent tous les soucis et tracas que sa mémoire, réveillée par le bruit de ce retour à lui-même, laisse monter à la surface. Les fragments de la réalité s'amalgament et recréent l'évidence. Tout se replace dans son esprit, s’étale comme de mauvaises cartes posées maladroitement par une voyante lui annonçant, avec un visage de pierre, l’approche d’un tas de malheurs. Ordinairement, après cette sorte d’évasion, Il s'engouffre dans sa peau terrestre et repose ses pieds dans ce bas monde.
Aujourd’hui c’est son jour de repos…le jour consacré à son repos. Il n’avait rien prévu, il a toujours préféré laisser ces moments pages vierges sur lesquelles il permettra au destin de griffonner ses fantaisies, comme il le faisait lui-même au lycée au cours des creux de son emploi du temps. Il n’avait rien prévu mais il attend…il va attendre sur le balcon, une tasse de café à la main et une cigarette entre les lèvres, la première depuis ce matin.
 
  Il tire la porte derrière lui pour ne plus entendre le bruit qui vient de l'intérieur. Il éprouve un besoin irrésistible de paix et de tranquillité, il doit donc éviter les gémissements de sa femme malade et depuis longtemps alitée, et les questions embarrassantes de Zina, sa petite fille qui ne sait guère se taire même quand elle n’a rien à dire. Hamou trouve rarement des réponses convaincantes à ses questions qui lui semblent simples et difficiles en même temps ; que répondre quand elle lui demande qu’elle souhaite avoir, comme les autres enfants, une sœur ou un frère avec qui jouer à la maison ? Il se tait ! Quel bon refuge ce silence !
 
 En bas,  les gens vont, viennent, s’arrêtent, entrent, sortent…mais personne ne semble lever la tête pour le regarder, il n’en a pas réellement besoin ! Ce n’est pas ce qu’il attend. Et les gens n’ont certainement pas besoin, eux aussi, de le voir perché, immobile comme un épouvantail espérant un bon coup de vent pour se manifester. En bas, chacun semble savoir ce qu’il doit faire, où il doit se rendre…Le mouvement prend, à mesure que le fixe Hamou, l’image d’un tableau que les gens sont en train de peindre inlassablement. Sans peine. Passivement. Chaque passant y laisse son empreinte ; ça et là, des hommes habillés différemment comme pour exprimer leurs différences ou imposer leurs choix ; les uns courant, les autres traînant, des femmes aux couleurs éclatantes exhibant leur féminité, des femmes se cachant dans le sombre, préférant l’ombre pour surprendre en déballant, le moment venu, leurs trésors de douceurs insoupçonnés…il y a de tout !  Hamou y voit…il y imagine presque des grimaces, des sourires, des taches de rousseur sur les joues, des dents jaunies par le tabac, du rouge à lèvres, des larmes se confinant juste au sortir des yeux… Là-bas, la poubelle défaite par les chats la nuit et éparpillée par le vent de l’automne; là-bas, la boue…Il recommence à pleuvoir. Hamou aime ce climat, les nuages bouchent les horizons, l’obligent à se cantonner en lui-même, à se regarder, se pénétrer tout en ayant sous les yeux presque inconsciemment la rue qui bouge, le tableau qui ne cesse de se peindre. Le voilà ! 

 Et voilà l’enfant qui  passe ! Là, juste au dessous ! Hamou est parcouru par l’étrange  fourmillement comme à chaque fois quand il le voit. Il laisse tomber sa cigarette à moitié consumée près du garçon pour attirer son attention. Le gamin lève la tête, le salue d'un geste de la main accompagné d'un sourire regorgeant d'innocence, et s’en va. Le cœur empli de joie, Hamou le suit des yeux, surveille son allure, ses gestes ; s’efforce de détecter quelques indices supplémentaires qui lui permettraient de consolider sa certitude et se libérer définitivement du doute qui le ronge depuis des années, preuves qui en réalité ne lui sont plus nécessaires. Mais tant quand on a la possibilité de remplir son verre jusqu’au bord pourquoi hésiter… Il a vu Yatim plusieurs fois depuis son arrivée dans ce quartier, il l’avait suivi…il sait maintenant où il habite...

                                                                                                                     A suivre...

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